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Principes ostéopathiques : relancer le débat

Édition spéciale de l’IJOM

Au-delà des aspects réglementaires variables d’un pays à l’autre, pourquoi n’existe-t-il pas une définition universelle de l’ostéopathie ? Si sa pratique devait s’appuyer sur les principes élaborés par A.T. Still, ils devraient faire consensus. Mais qu’en est-il de ces principes ? Comment ont-ils été transmis à travers le temps et comment sont-ils transposables à notre époque moderne ?

Par Marjolaine Dey, ostéopathe DO et responsable des mémoires au CEESO (Centre Européen d’Enseignement Supérieur de l’Ostéopathie)

Pour engager cette réflexion, Gary Fryer, ostéopathe DO, docteur et responsable du département d’ostéopathie à l’université Victoria de Melbourne (Australie), a publié en septembre 2011 dans l’IJOM (International Journal of Osteopathic Medicine) un appel à communications sur le thème des principes ostéopathiques. Ces principes seraient l’essence même de l’ostéopathie, faute de définition explicite et universellement acceptée. Gary Fryer affirme que l’ostéopathie n’est pas caractérisée par un ensemble de techniques manuelles, mais par l’application des « principes ostéopathiques » ou de la philosophie ostéopathique. Dans ce cas, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que des principes clairs aient été élaborés et approuvés afin de distinguer l’ostéopathie des autres thérapies manuelles et professions de santé. Or, ce n’est pas le cas. Ceci expliquerait en partie la situation chaotique de l’organisation de la formation des ostéopathes ainsi que la législation et la régulation de l’ostéopathie à travers le monde. Notamment en France.

Gary Fryer pose ainsi la problématique des principes ostéopathiques et invite professionnels, chercheurs et cliniciens à y répondre. Y a-t-il des principes qui reflètent avec précision la profession d’ostéopathe aujourd’hui et qui la distingue des autres professions ? Pourquoi est-ce important de définir clairement des principes sur lesquels s’appuierait la pratique ? Est-ce que leur variabilité d’un pays à l’autre et entre individus rend impossible toute tentative d’uniformisation ? Cette situation ne serait-elle pas plutôt révélatrice d’un éventuel schisme au sein de la profession ?

Les réponses à cet appel à communications ont été publiées en mars 2013 dans une édition spéciale de l’IJOM. Les articles, avis d’experts et lettres à l’éditeur retenus de manière anonyme et par un comité de lecture indépendant sont organisés autour de trois approches. D’abord, réexaminer l’aspect historique des principes et leur réactualisation. Ensuite, remettre en cause ces principes et leur nécessité. Et enfin, reconsidérer les valeurs ostéopathiques.

principes ostéopathiquesPerspectives historiques et réactualisation

Ainsi, avant de proposer une réactualisation des principes ostéopathiques, Jane Eliza Stark, ostéopathe DO (Canada), reprend l’évolution historique des principes ostéopathiques d’A.T. Still à nos jours à travers une revue de la littérature. Au vu des nombreux auteurs qui ont repris et interprété les principes, son article ne peut être exhaustif. Elle précise également que seule la littérature écrite en anglais a été consultée pour son article qui se divise en trois périodes : la période originelle, traditionnelle et moderne.

La période originelle s’étend d’A.T. Still à 1910. La majorité des contributeurs de cette période ont étudié aux États-Unis dans l’American School of Osteopathy. En 1910, A.T. Still publiait son ultime livre Osteopathy research and practice dans lequel il décrivait « notre plateforme ». Cette plateforme rassemblait neuf « planches », les fondations de la méthode ostéopathique par rapport aux autres thérapies médicales de l’époque. A.T. Still ne les considérait pas comme les principes ou la philosophie ostéopathique, mais depuis ils ont été assimilés comme tels. Ces neuf éléments peuvent être résumés ainsi :

1. Le soutien aux mesures sanitaires et d’hygiène ;
3. L’opposition à la vaccination ;
2. Le rejet de l’utilisation des médicaments comme remède ;
4. Le rejet de l’utilisation des sérums comme dans le traitement de la maladie ;
5. L’utilisation de la chirurgie uniquement en dernier recours ;
6. Le rejet de méthodes complémentaires, telles que les radiographies et l’hydrothérapie ;
7. Les thérapies naturelles peuvent être utilisées, mais ne doivent pas être incorporées dans la méthode ostéopathique ;
8. L’ostéopathie est une modalité distincte des autres systèmes de soin ;
9. La maison thérapeutique ostéopathique est suffisamment grande pour l’ostéopathie, mais elle ne peut pas accueillir d’autres thérapies, sous peine de faire déménager l’ostéopathie.

« Les principes actuels, imprécis et ambigus ouvrent la porte à un large spectre d’interprétations »

Stephen Tyreman

C’est John Martin Littlejohn qui publiait en 1908 un livre intitulé Le principe de l’ostéopathie, dans lequel le concept de l’ostéopathie était décrit comme un système avec un principe général central : « Le diagnostic de la maladie du point de vue des interférences structurelles et environnementales avec l’activité vitale du corps d’un organisme ». Jane Eliza Stark conclut qu’aucun consensus ne peut être dégagé de la littérature de cette période.

La période traditionnelle ou classique se situe entre 1910 et 1950. Elle fut très féconde en matière de principes et des dizaines de livres et d’articles furent publiés, chaque auteur allant de son interprétation. Les principes publiés portaient sur des thèmes très variés. Certains étaient très médicaux : individualité de chaque patient, rôle de la cellule et de l’immunité, flux normal des fluides corporels, lésion spinale. D’autres moins : enthousiasme du praticien, son charisme et la présence d’un tableau et de craies dans son bureau – essentielle selon GW Goodie (The 10 commandments of osteopathy, JAOA 1923).

En 1950, des principes d’ostéopathie sont rédigés de chaque côté de l’Atlantique. Aux États-Unis, Allan A. Eggleston publie un article dans le JAOA sur les trois principaux principes de l’ostéopathie, tandis qu’au Royaume-Uni, le principal de la British School of Osteopathy enseigne également trois principes totalement différents (voir tableau ci-dessous).

Pendant cette période traditionnelle, il était accepté, voire encouragé de publier ses propres interprétations des principes ostéopathiques. Ainsi, chaque auteur a exprimé son opinion, mais aucune liste ne faisait figure de référence.

Préceptes de AA Egglestonpubliés en 1950 Principes enseignés à la BSO en 1950
1. Le corps possède la capacité inhérente à se maintenir en santé et à se soigner de la maladie, tant que toutes ses composantes et systèmes fonctionnent normalement 1. La structure et la fonction sont interdépendantes
2. Les perturbations mécaniques ou structurelles qui se produisent dans le corps peuvent interférer, ou entraver, le fonctionnement normal de certaines de ses composantes ou systèmes 2. Le corps est autosuffisant, il tend à se guérir et tend toujours vers la normale (homéostasie)
3. Ces perturbations mécaniques ou structurelles peuvent être reconnues et comprises (diagnostiquées) et il est possible d’appliquer un traitement qui surmontera la perturbation ou permettra au corps de compenser 3. La règle de l’artère est suprême
1953 : création d’un concept ostéopathique

Au cours de la période moderne (1953 à 2003), une démarche collective pour unifier les idées et les principes a été engagée. En 1953, le concept ostéopathique fut créé afin de servir de guide éducatif pour le collège ostéopathique de Kirksville. Ce document, destiné à un usage uniquement interne, ne devait pas devenir un dogme ou même une référence. Ce concept ostéopathique et ses 4 principes sont depuis entrés dans l’histoire de l’ostéopathie :

1. Le corps est une unité ;
2. Le corps possède des mécanismes d’autorégulation ;
3. Structure et fonction sont en interrelation réciproque ;
4. Une thérapie rationnelle est basée sur les principes ci-dessus énoncés.

En 1981, un consensus se dessine sous la forme de cinq principes reprenant les trois premiers concepts élaborés en 1953. Le principe ostéopathique était devenu une règle ou une loi biologique, comportementale ou clinique à laquelle est donné du sens grâce à la philosophie ostéopathique, son diagnostic spécifique et sa prise en charge par l’ostéopathe. En 1987, Irvin M. Korr reprit ces principes pour y ajouter une composante musculosquelettique, qui fut reprise en 2002 dans les « tenets » de la médecine ostéopathique de l’équipe de Rogers et al, qui se voulaient plus exhaustifs :

1. Une personne est le produit d’une interaction dynamique entre le corps, l’esprit et l’âme.
2. La propriété intrinsèque de cette interaction dynamique est la capacité de l’individu au maintien de sa santé et la guérison.
3. De nombreux éléments, à la fois intrinsèques et extrinsèques à la personne, peuvent contester cette capacité inhérente et contribuer à l’apparition de la maladie.
4. Le système musculo-squelettique influence de manière significative la capacité de chaque individu à restaurer sa capacité intrinsèque et donc à résister au processus de la maladie.

À travers cette revue de littérature, Jane Eliza Stark nous présente l’évolution chaotique des principes sur lesquels l’ostéopathie se base aujourd’hui. Elle nous révèle que les auteurs de chacune des versions ne s’attendaient pas à ce que leurs principes deviennent une référence, mais bien un point de départ à une réflexion. Elle conclut que nous assistons peut-être à une période de renaissance. La coopération internationale permettrait de consolider les principes historiques, d’incorporer une verbalisation actuelle et des éléments biologiques et médicaux ainsi que les réalités scientifiques du XXIe siècle.

« Chaque fois qu’un ostéopathe adopte une nouvelle pratique thérapeutique, c’est un peu d’ostéopathie qui disparait »

A.T. Still

Des principes remis en cause

Andrew Cotton, ostéopathe DO (Royaume-Uni), met en avant l’importance des principes ostéopathiques pour développer l’identité professionnelle de l’ostéopathie, légitimer sa pratique et prévenir son déclin. Un risque qu’il illustre par une phrase d’A.T. Still : « Notre maison est suffisamment grande pour l’ostéopathie, mais à chaque fois qu’un ostéopathe adopte une nouvelle pratique thérapeutique, c’est un peu d’ostéopathie qui disparait ». Avec la multiplication des approches thérapeutiques ostéopathiques et l’utilisation de techniques ostéopathiques par des praticiens non-ostéopathes, Andrew Cotton nous avertit d’une éventuelle disparition de l’ostéopathie du XXe siècle. Selon lui, les principes fondateurs permettent de nous différencier d’autres approches complémentaires et thérapies manuelles. Ces principes fondés sur l’histoire permettent aux praticiens d’avoir une référence et un guide dans leur pratique clinique. Andrew Cotton critique une ostéopathie basée uniquement sur les preuves par la recherche et qui pourrait réduire les possibilités de travail de l’ostéopathe. De plus, ce système centré sur le symptôme, l’intervention unique et la possibilité de faire un placébo simple avec un double insu semble incompatible avec la prise en charge holistique de l’ostéopathe. Face à ceux qui ne comprennent pas l’importance de rester traditionalistes, il propose des pistes de réflexion afin d’engager l’ostéopathie dans une remise en question profonde : revisiter le passé pour envisager le futur.

[su_spoiler title= »Une histoire de principes ! » icon= »plus-circle »]

Pour définir des principes spécifiques à l’ostéopathie et directement utilisables par le clinicien, Stephen Paulus, médecin, ostéopathe DO et spécialiste de l’histoire de l’ostéopathie (États-Unis) propose une analyse des textes d’Andrew Taylor Still.

La tendance des précédentes publications sur le sujet était de simplifier et synthétiser au maximum les principes. Elles ont ainsi perdu l’essence de l’art ostéopathique et risquent de mettre à mal l’identité professionnelle des ostéopathes prévient Stephen Paulus. Il énonce 10 principes ostéopathiques afin d’adapter les écrits de nos prédécesseurs aux évolutions scientifiques et médicales actuelles.

1. L’être humain fonctionne de manière holistique et dynamique.

L’approche holistique, décrite par Aristote et reprise par A.T. Still, fondation de l’ostéopathie, s’oppose au réductionnisme de la médecine de l’époque. A.T. Still a utilisé de nombreux termes synonymes et difficiles à traduire.

2. Le corps et le psychisme (l’esprit) ont la capacité de s’autoguérir ou de s’adapter, en présence d’une maladie ou d’une blessure. Le respect de cette loi naturelle constitue la base de tout traitement.

« L’objectif du médecin [ostéopathe] devrait être de trouver la santé. N’importe qui peut trouver la maladie » déclarait A.T. Still. L’ostéopathe doit comprendre le fonctionnement naturel du corps afin d’en accélérer la guérison.

3. La structure (anatomie) et la fonction (physiologie) sont intimement liées et inséparables dans la santé et la maladie.

A.T. Still n’a jamais utilisé le terme « interrelation » entre la structure et la fonction, mais la nécessité pour l’ostéopathe de comprendre l’importance de la structure dans le fonctionnement de la physiologie.

4. Un diagnostic précis est posé par l’ostéopathe uniquement par la palpation du corps. Un traitement ostéopathique individualisé est ensuite mis en place.

Cela peut paraître évident, mais aucun principe ostéopathique publié jusqu’à présent de mentionne l’approche manuelle de l’ostéopathie, le diagnostic basé sur des connaissances anatomiques et la prise en charge ostéopathique (type de traitement non décrit ici).

5. La structure et la fonction du système musculo-squelettique ont un impact sur la santé de tout l’organisme. Lorsque ce système ne fonctionne pas normalement, c’est tout l’être qui peut tomber malade.

Ce principe reprend le 3e, en mettant l’accent sur les conséquences locales ou générales d’un trouble structurel.

6. Les perturbations structurelles ou fonctionnelles du système musculo-squelettique, ainsi que tous les autres systèmes du corps, sont traitées par l’application d’un traitement ostéopathique individualisé.

Le traitement ostéopathique est décrit ici comme individualisé et basé sur des manipulations (donc manuel).

7. L’objectif d’un traitement ostéopathique est de restaurer la capacité naturelle d’autoguérison – ou à aider la compensation « créative » en augmentant la santé locale/régionale et globale du corps et en supprimant les obstacles à la circulation sanguine, l’écoulement du fluide, ou la fonction nerveuse permettant le rétablissement du mouvement.

Ce principe permet de décrire l’application pratique de la philosophie ostéopathique. A.T. Still n’aurait jamais utilisé le terme de lésion ou dysfonction somatique. Stephen Paulus ne l’utilise donc pas dans ces principes.

8. L’ostéopathie est un système de soins de santé basée sur la recherche et le traitement des causes d’une maladie ou d’une blessure plutôt que le traitement des symptômes. La douleur est un symptôme, pas une maladie. Si la douleur est traitée exclusivement, et si l’origine de ce qui cause la douleur reste inconnue, les actions thérapeutiques seront limitées. Les causes de la douleur sont souvent éloignées des symptômes.

« C’est comme si les pompiers essayaient uniquement de gérer les fumées dégagées par un incendie, plutôt que d’en trouver le foyer » expliquait A.T. Still

9. Pendant le diagnostic et le traitement ostéopathique, le patient peut être abordé selon deux approches interdépendantes. À travers Le champ matériel qui contient les éléments biomécaniques formés par l’anatomie palpable et les fonctions physiques objectives et mesurables. À travers Le champ non matériel qui est invisible et se réfère à des éléments subjectifs bioénergétiques qui sous-tendent la forme matérielle (…). Les champs matériels et non matériels coexistent simultanément et sont unifiés dans un état dynamique de l’unité connectée.

Dans ce principe, la partie immatérielle peut déranger. Selon la culture, nous pourrons parler de Qi (Chine), de champ magnétique (Europe) ou de mouvement de respiration primaire (Sutherland). C’est un concept un peu tabou en ostéopathie qu’aborde Stephen Paulus en citant Sutherland : « Still ne pouvait pas partager toutes ses découvertes sur le corps humain. Nous n’étions pas encore prêts à l’entendre… » Nous ne sommes peut être toujours pas prêts !, conclut Stephen Paulus.

10. La première pierre du système de soins de santé ostéopathique est basée sur les forces naturelles de guérison. Chaque ostéopathe cultive une réflexion personnelle sur sa pratique et s’appuie sur ce travail intérieur pour fournir un traitement ostéopathique.

Le dernier principe accepte qu’à travers son expérience, chaque ostéopathe adopte une approche personnelle et une pratique propre. A.T. Still accordait beaucoup d’importance à la spiritualité (plus qu’à la religion), un autre tabou. Il conseillait aux ostéopathes de développer une réflexion personnelle, psychologique et spirituelle dans leur pratique, afin de délivrer la meilleure prise en charge ostéopathique possible.

Stephen Paulus extrait des écrits d’A.T. Still des principes historiquement corrects, adaptés aux perspectives nouvelles du XXIe siècle. Il ose parler des tabous, les justifie par l’approche de A.T. Still et en tire des conclusions pour tenter de définir la philosophie ostéopathique au plus près de la pratique.[/su_spoiler]

L’opinion de Maurice Christopher McGrath, membre du groupe de recherche d’anatomie clinique de l’Université d’Otago (Nouvelle-Zélande) s’oppose à celle d’Andrew Cotton. Pour lui, la transition vers l’ostéopathie du futur passe par la recherche. Cette quête de la différence pourrait définitivement enterrer l’ostéopathie. Dans son article sur l’anachronisme des principes ostéopathiques, il explique pourquoi l’ostéopathie aurait intérêt à s’allier aux autres thérapies manuelles. Elle trouverait suffisamment de moyens humains et financiers pour prouver l’efficacité d’une prise en charge manuelle complémentaire au XXIe siècle. Un enjeu capital, car de nombreux troubles de la santé pourraient être prévenus par la thérapie manuelle. Sa conclusion souligne une évidence économique et législative, mais, pour y parvenir, l’ostéopathe moderne devra dépasser ses conflits internes et s’associer aux autres approches manuelles pour obtenir la reconnaissance que méritent la profession et les patients.

Les valeurs ostéopathiques en question

Afin de mieux comprendre la pratique quotidienne des ostéopathes, Oliver P. Thomson, ostéopathe DO et professeur au sein du département de recherche du British College of Osteopathic Medicine, du centre de recherche clinique des professions de santé de l’université de Brighton et du département des sciences du sport et de la santé de l’université Oxford Brookes (Royaume-Uni), décrit en détail l’approche centrée sur le patient considérée comme faisant partie du modèle biopsychosocial opposé à l’approche centrée sur la maladie (voir également notre enquête Repenser l’ostéopathie parue dans L’ostéopathe magazine n°15). L’approche centrée sur le patient serait une des caractéristiques de l’ostéopathie : il n’y a pas de standardisation possible et chaque patient est traité de manière individuelle selon son tempérament. L’auteur décrit ensuite cette approche, pas toujours prise en compte par les ostéopathes. Il émet ensuite des hypothèses/guides de recherche qu’il regroupe en trois lignes directrices :

1. Le patient, sa prise en charge et la responsabilité partagée.

Appeler les personnes des « patients » et les « prendre en charge » traduit une forme de passivité qui ne favorise pas l’établissement d’une relation thérapeutique dynamique. Le praticien est un conseiller et le patient doit être actif dans sa propre guérison. Il faut reconnaître le rôle et la responsabilité de chacun.

2. Le consentement

Pour redonner un rôle actif au patient et s’assurer que la responsabilité soit bien partagée, le thérapeute devrait systématiquement recueillir le consentement éclairé de son patient. Il devrait alors verbaliser chaque aspect de la consultation, expliciter les tests et leurs résultats, impliquer le patient dans le choix thérapeutique, l’avertir d’éventuels effets indésirables et respecter sa décision. En France, lorsqu’un ostéopathe prend la décision de « manipuler » les cervicales (au sens large du terme, ainsi formulé dans le texte de loi), explicite-t-il à son patient que cela lui est interdit ? Recueille-t-il son consentement éclairé en exposant les risques potentiels encourus ? Lui présente-t-il des alternatives à ces techniques ?

3. La dysfonction somatique

Afin de prouver l’efficacité de l’ostéopathie et contribuer à sa reconnaissance, les chercheurs ont développé une ostéopathie centrée sur la dysfonction somatique (DS). Le concept même de la DS est plutôt conforme avec un modèle biomédical centré sur la maladie ou la dysfonction plutôt que centré sur le patient. Ce développement remet en cause l’approche centrée sur le patient. La méthodologie de recherche actuelle de l’essai contrôlé randomisé est également contraire à l’approche holistique.

L’article d’Oliver P. Thomson permet de mieux comprendre l’approche centrée sur le patient et met en avant ce modèle holistique du modèle biopsychosocial accepté par l’OMS et utilisé par de nombreuses professions de santé. Cette approche n’est pas spécifique à l’ostéopathie, mais semble en accord avec sa philosophie historique. Oliver P. Thomson propose des pistes de recherche en méthodologie qualitative afin d’évaluer l’efficacité de l’intervention complexe qu’est l’ostéopathie.

Vers un modèle biopsychosocial

principes ostéopathiquesPour compléter ces analyses des principes ostéopathiques historiques, J. Nicholas Penney, ostéopathe DO et chercheur au sein du Spinal Research Unit de l’Université d’Huddersfield (Royaume-Uni) propose, quant à lui, un nouveau modèle pour l’ostéopathie. Ce modèle est composé de recommandations et de guides de bonnes pratiques cliniques plutôt que de principes. J. Nicholas Penney propose des directives claires et applicables directement, élaborées à partir de preuves et déjà reconnues par l’OMS. Ce modèle reconnait l’aspect holistique essentiel à l’ostéopathe : la dysfonction physique, l’anxiété, le comportement de maladie et la stratégie de gestion de la douleur. Les articles de la littérature scientifique approuvent ce modèle holistique, car toute maladie est causée par des interactions complexes entre systèmes neurobiologiques, physiologiques, anatomiques et psychologiques. Ce modèle, qui correspond si bien aux valeurs de l’ostéopathie, c’est le modèle biopsychosocial. J. Nicholas Penney se demande pourquoi les ostéopathes se creusent tant la tête pour définir des principes d’ostéopathie, alors qu’un modèle est déjà reconnu. La prise en charge est multimodale et pluridisciplinaire. De plus, elle est empathique. Elle recueille le consentement du patient et lui donne une part active dans la gestion de santé.

Le modèle biopsychosocial critique le modèle basé sur les preuves (EBM) strictes, car les études cliniques actuelles ne peuvent prouver l’action d’une thérapie par rapport aux divers facteurs responsables de l’équilibre entre la santé et la maladie. J. Nicholas Penney conclut que ce modèle pourrait servir de philosophie directrice à l’ostéopathie, avec ses recommandations. Il faudrait ensuite définir les modalités de la prise en charge par l’ostéopathe. Une tâche moins difficile que la définition d’un nouveau modèle, de principes et de recommandations.

Des principes imprécis et ambigus

Stephen Tyreman, ostéopathe DO, doyen du développement de l’enseignement ostéopathique à la British School of Osteopathy et professeur à la Norwegian University College of health Studies, est spécialisé dans la philosophie ostéopathique (voir également notre enquête Repenser l’ostéopathie parue dans L’ostéopathe magazine n°15). Dans un article argumenté et référencé, qui résume et conclut cette édition spéciale de l’IJOM, il présente son point de vue. Pour lui, les principes ostéopathiques ne sont pas suffisamment spécifiques et ne se différencient donc pas de ceux d’autres pratiques de santé. D’ailleurs, il précise que ces principes sont imprécis et ambigus. Ils ouvrent donc la porte à un large spectre d’interprétations. Pour conclure, il remarque que les principes tels qu’ils sont reconnus actuellement ne décrivent jamais la notion de mouvement et de palpation ni la prise en charge en thérapie manuelle, coeur du métier. Il suggère aux ostéopathes de travailler ensemble pour construire des fondations plus solides sur lesquelles la profession pourrait s’identifier.

Dans son édito, Gary Fryer met en garde le lecteur : ces textes ne représentent pas une nouvelle vérité. Leur objectif est de relancer la discussion et le débat, parfois par la controverse et même l’hostilité. Ces articles peuvent être basés sur des revues de littérature non systématiques, des recherches doctorales ou des avis d’experts. Gary Fryer invite donc les lecteurs à exprimer leurs visions et réactions dans des courriers à l’éditeur qui pourront être publiés. Définir l’ostéopathie doit être la préoccupation de tout ostéopathe. C’est également le meilleur moyen de défendre une pratique. C’est aussi un engagement envers les patients.

[su_spoiler title= »L’essentiel à retenir » icon= »plus-circle »]• Les principes d’ostéopathie n’ont pas été rédigés par A.T. Still, mais par des groupes de réflexion à partir de 1950.
• Ces principes énoncent des procédés physiologiques, non spécifiques à l’ostéopathie, et ne mentionnent pas la notion de palpation ni de thérapie manuelle.
• Les auteurs débattent de l’intérêt des principes ostéopathiques dans notre monde informé par les preuves. Certains pensent que la réactualisation des principes est essentielle à la reconnaissance du métier et la cohésion de la profession. D’autres se tournent vers d’autres modèles déjà reconnus par l’OMS, tel le modèle biopsychosocial, et suggèrent aux ostéopathes de définir clairement leurs objectifs thérapeutiques.
• Cette édition spéciale a pour vocation de relancer le débat et motiver les ostéopathes à se poser des questions sur leur histoire, leur philosophie et leur futur.[/su_spoiler]

[su_spoiler title= »Références » icon= »plus-circle »]Fryer G. Call for papers : an invitation to contribute to a special issue on osteopathic principles. International Journal of Osteopathic Medicine, 2011 ; 14 : 79-80

Fryer G. Special issue : Osteopathic principles. International Journal of Osteopathic Medicine 2013 ; 16(1) : 1-2

Jane Eliza Stark, An historical perspective on principles of osteopathy, International Journal of Osteopathic Medicine 2013 ; 16 (1) : 3-10

Stephen Paulus, The core principles of osteopathic philosophy, International Journal of Osteopathic Medicine 2013 ; 16 (1) : 11-16

Andrew Cotton, Osteopathic principles in the modern world, International Journal of Osteopathic Medicine 2013 ; 16 (1) : 17-24

Oliver P. Thomson, Nicola J. Petty, Ann P. Moore, Reconsidering the patient-centeredness of osteopathy, International Journal of Osteopathic Medicine 2013 ; 16 (1) : 25-32

J. Nicholas Penney, The Biopsychosocial model: Redefining osteopathic philosophy ?, International Journal of Osteopathic Medicine 2013 ; 16 (1) : 33-37

Stephen Tyreman, Re-evaluating ‘osteopathic principles’, International Journal of Osteopathic Medicine 2013 ; 16 (1)  : 38-45

David W. Evans, Osteopathic principles: More harm than good ?, International Journal of Osteopathic Medicine 2013 ; 16 (1) : 46-53

Maurice Christopher McGrath, From distinct to indistinct, the life cycle of a medical heresy. Is osteopathic distinctiveness an anachronism ?, International Journal of Osteopathic Medicine 2013 ; 16 (1) : 54-61

Ben D. McChesney, Principle driven osteopathy, International Journal of Osteopathic Medicine 2013 ; 16 (1) : 62-63[/su_spoiler]

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