L’objet n’est pas réel. La réalité se trouve dans le rapport avec les objets. Un tableau en noir et blanc sur un mur exclut les couleurs qui l’entourent, des toiles en noir et blanc font penser à la couleur et le noir sur le blanc fait ressortir la lumière*. Cette réflexion du peintre Pierre Soulages évoque la capacité de l’art à nous faire explorer la subjectivité de notre perception.
Ces interprétations constantes du réel construisent notre monde. Comment s’organisent en nous ces informations qui proviennent de l’extérieur ? Notre cerveau doit traiter à chaque instant une masse colossale d’informations. Il réduit toutes les ambiguïtés de la réalité pour nous permettre de prendre des décisions. À partir d’un substrat commun, ce processus forge en chacun d’entre nous des opinions originales. Notre réalité n’est finalement que le résultat d’une incertitude mal assumée.
Il y a donc plus qu’une frontière, mais tout un monde entre la réalité et sa représentation. Au-delà de l’analyse phénoménologique de nos perceptions, on peut questionner le filtre qui permet de classer des informations dans la catégorie des faits rationnels ou des faits irrationnels.
Pour une intégration plus grande du monde qui nous entoure, est-il possible de penser un changement qui accorderait une plus grande place à l’irrationnel ? Il s’agit non pas d’élargir notre perception, mais de modifier les jugements que nous portons sur nos perceptions. Un changement de perception entre les pleins et les vides, entre le temps et le rapport avec l’espace* nous dit Pierre Soulages. L’art, à nouveau, évoque cette capacité à naviguer du rationnel à l’irrationnel.
La médecine traditionnelle amérindienne et les chamanes qui la pratiquent considèrent que les maladies commencent et finissent dans la composante spirituelle de la personne et que la guérison se positionne dans deux réalités : la réalité non-ordinaire et la réalité ordinaire. L’ostéopathie considère la maladie comme une dysfonction, c’est-à-dire une situation clinique entre le pathologique et l’état physiologique non optimal. Une dysfonction pourra se situer sur les plans somatique, émotionnel et énergétique.
À l’instar des chamanes, c’est en prenant conscience de l’ambiguïté perceptive de notre réalité qu’il sera possible d’explorer d’autres dimensions dans le soin. Les principes fondamentaux de l’ostéopathie pourront alors s’exprimer pleinement pour ne pas soigner la maladie d’une personne, mais pour accompagner pleinement la personne malade dans sa guérison. Suivre la voie des chamanes est donc plus rationnel qu’il n’y paraît…
*Soulages, le noir et la lumière, un film de Jean-Noël Cristiani, 2008, 52 min. Projection Musée Pierre Favre, janvier 2020