L’équipe de Giacomo Cavalli, à l’Institut de génétique humaine de Montpellier (Université de Montpellier/CNRS), en collaboration avec l’Inra [1] , démontre chez la drosophile l’existence d’une hérédité épigénétique [2] transgénérationnelle.
En modifiant de façon transitoire la fonction des protéines du groupe Polycomb, dont l’activité est essentielle au cours du développement, ils ont obtenu des lignées de drosophile porteuses de la même séquence d’ADN mais caractérisées par des yeux de couleurs différentes. Ces différences dépendent d’un degré variable de répression par les protéines Polycomb qui est hérité de façon stable mais réversible. Cette hérédité épigénétique s’applique aussi bien à des lignées transgéniques qu’à des lignées naturelles et peut être modifiée par des changements de conditions environnementales, comme la température ambiante. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Genetics, le 24 avril
[su_pullquote] » L’influence transitoire de l’environnement sur l’expression des traits des insectes confère à ce mécanisme épigénétique des propriétés évolutives uniques « [/su_pullquote]Elles ont toutes le même ADN mais des caractères bien différents : des chercheurs ont obtenu des lignées de drosophiles aux yeux blancs, jaunes ou rouges, en perturbant de façon transitoire des interactions entre des gènes cibles des protéines Polycomb, des complexes protéiques impliqués dans la répression de nombreux gènes, notamment des gènes de développement. L’équipe de Giacomo Cavalli, de l’Institut de génétique humaine de Montpellier (Université de Montpellier/CNRS), démontre pour la première fois que la régulation de la position des gènes peut déclencher un phénomène d’héritage transgénérationnel.
Transmission de paramètres non codés par la génétique
Les informations nécessaires au fonctionnement des cellules ne sont pas toutes portées par le matériel génétique. D’autres paramètres, transmis de façon héréditaire mais non codés par les gènes d’un individu, pilotent la vie des cellules. Ces facteurs dits épigénétiques sont un étiquetage chimique et une organisation spatiale bien définie de notre génome. Ils correspondent en particulier aux modifications des histones, les protéines autour desquelles l’ADN s’enroule. Les protéines du groupe Polycomb, elles, sont impliquées dans la définition de l’architecture tridimensionnelle des chromosomes, qu’elles régulent en établissant des interactions entre gènes dans l’espace 3D du noyau cellulaire. Or, selon la position d’un gène à un moment donné, son expression sera activée ou réprimée.
En perturbant de façon transitoire ces interactions, les chercheurs ont pu établir des lignées de drosophiles caractérisées par des niveaux différentiels de répression ou d’activation génique dépendant des Polycomb. Les chercheurs ont séquencé le génome entier de chaque lignée de drosophiles, afin de vérifier que leur ADN soit bien identique. Malgré l’identité de leurs séquences d’ADN, ces lignées peuvent être maintenues indéfiniment et transmettent fidèlement leurs différences phénotypiques une fois établies. Ce phénomène peut être réversible : en croisant ces individus aux gènes surexprimés ou sous exprimés avec des drosophiles n‘ayant pas de modifications, il est possible d’induire un retour à la normale de la couleur des yeux sans changer la séquence d’ADN, ce qui démontre le caractère épigénétique de cette forme d’héritage.
Influence de l’environnement sur l’expression des gènes
Les chercheurs ont ensuite pu montrer que la modification des conditions environnementales, notamment la température ambiante[3], peut affecter l’expression de l’information épigénétique sur plusieurs générations, sans pour autant effacer sa transmission. Cette influence transitoire de l’environnement dans lequel ont vécu les générations précédentes sur l’expression des traits des insectes confère à ce mécanisme épigénétique des propriétés évolutives uniques. La pertinence du phénomène dans la nature a de plus été confirmée par des études en microcosme menées en collaboration avec l’Inra.
L’équipe de Giacomo Cavalli démontre ainsi l’existence d’un héritage épigénétique transgénérationnel stable, dépendant de la structure tridimensionnelle des chromosomes et régulé par les facteurs Polycomb. Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives pour les sciences biomédicales. Ils suggèrent notamment que l’épigénétique pourrait expliquer en partie le mystère de « l’hérédité manquante », c’est-à-dire l’incapacité de trouver les causes génétiques de certains caractères héréditaires normaux ainsi que de nombreuses pathologies humaines.
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[1] Des chercheurs du Centre de Biologie pour la Gestion des Populations, de Montpellier et de l’unité de Mathématique et Informatique Appliquées, de Toulouse.
[2] L’épigénétique correspond à l’étude des changements dans l’activité des gènes, n’impliquant pas de modification de la séquence d’ADN et pouvant être transmis lors des divisions cellulaires. Contrairement aux mutations qui affectent la séquence d’ADN, les modifications épigénétiques sont réversibles.
[3] Comme tous les insectes, la drosophile ne maintient pas une température interne constante.
Source : communiqué de presse du CNRS – Délégation Paris Michel-Ange (25 avril 2017)
http://www2.cnrs.fr/presse/communique/4997.htm
Citation
« L’influence transitoire de l’environnement sur l’expression des traits des insectes confère à ce mécanisme épigénétique des propriétés évolutives uniques. »
Légende
Trois exemples de drosophiles sont représentés. Les trois portent la même séquence d’ADN, mais elles ont des couleurs d’yeux différents à cause d’une perturbation transitoire de leur état épigénétique. Cette perturbation modifie les niveaux de répression Polycomb-dépendantes de l’expression d’un gène responsable de la couleur des yeux. © Filippo Ciabrelli
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