Des généticiens de l’Université de Genève (UNIGE) ont fait un pas important vers une véritable médecine prédictive en explorant les liens entre maladie et activité génétique dans différents tissus. Ils ont ainsi construit un modèle, première étape pour identifier dans le génome non codant les séquences indiquant un effet pathogène lié à une maladie.
Dans une deuxième étude, ils ont été encore plus loin en associant le risque de développer une maladie – notamment la schizophrénie, les maladies cardiovasculaires ou encore le diabète – à la variabilité de l’activité du génome dans différents types de cellules. Et leurs résultats ont apporté quelques surprises. Leurs découvertes, à lire dans Nature Genetics, pourrait bien révolutionner la manière dont chacun d’entre nous, selon son génome, prendra à l’avenir soin de sa santé.
Ces études se basent sur les données issues du projet international GTEx, pour « Genotype-Tissue Expression », lancé en 2010 et codirigé par le professeur Emmanouil Dermitzakis, généticien à la Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE) et directeur du Centre de génomique Health 2030. Ce projet avait pour objectif de recueillir autant de tissus que possible provenant d’un grand nombre d’individus afin de comprendre les effets que produisent les gènes et leurs variations. Les données publiées au cours des 7 dernières années ont ainsi permis aux scientifiques du monde entier de faire de considérables progrès dans l’analyse des variations génomiques propres à chacun de ces tissus et les prédispositions aux maladies.
L’examen de différents types de tissus humains prélevés sur des centaines de personnes a permis de mieux comprendre comment les variants génomiques – ces modifications dans l’orthographe du code ADN héritées de nos parents – pouvaient contrôler comment, quand et combien de gènes sont activés et désactivés dans les différents tissus, accroissant le risque de développer un large éventail de maladies. L’une des principales découvertes du consortium GTEx est qu’un même variant présent dans de multiples tissus peut avoir un effet différent selon le tissu concerné. Un variant qui affecte l’activité de deux gènes associés à la tension artérielle aura par exemple un impact plus important sur l’expression de ces gènes dans l’artère tibiale, même si l’activité des gènes est plus élevée dans d’autres tissus.
Comprendre l’effet pathogène des variations du génome non codant
Pour évaluer l’influence des variants sur l’activité des gènes, les chercheurs effectuent une analyse dite « eQTL ». Un eQTL – ou locus quantitatif d’expression des caractères – consiste en une association entre un variant à un emplacement précis du génome et le niveau d’activité d’un gène dans un tissu particulier. En comparant les eQTL des différents tissus aux gènes associés à des maladies on peut donc déterminer quels tissus sont les plus liés à une maladie. Mais si on peut associer une région du génome à un phénotype (une maladie, par exemple), les scientifiques n’étaient pas encore en mesure de déterminer précisément quel nucléotide – les briques de notre ADN -, lorsqu’il mute, contribue au phénotype en question. Emmanouil Dermitzakis souligne ainsi : « Nous devions concevoir un modèle permettant de relier précisément les variants à une maladie particulière. Notre but, pour simplifier, était de localiser le nucléotide exact qui, en cas de mutation, augmente le risque d’une maladie, plutôt que la région ou le gène associé. »
Pour construire un modèle solide, les scientifiques ont effectué les analyses eQTL de centaines d’échantillons et ont identifié des milliers de variations causales dans le génome non codant. En utilisant cet ensemble de données, ils ont commencé à construire des modèles visant à reconnaître ces variations à partir de séquences d’ADN, sans avoir à les relier aux phénotypes existants. Comme le décrit Andrew A. Brown, maître assistant au département de médecine génétique et développement de la Faculté de médecine de l’UNIGE et l’un des premiers auteurs de ces études : « Nous voulions reconnaître les variants pathogènes sans aucune autre information que cette séquence. Si notre modèle est confirmé, nous résoudrons l’un des problèmes majeurs de la génomique moderne: en lisant simplement des séquences d’ADN non codant, nous pourrons identifier leurs effets pathogènes. C’est le véritable avenir de la médecine prédictive. »
A chaque tissu son propre risque
Pour évaluer une prédisposition génétique à une maladie, les variations des gènes sont généralement associées à un phénotype. « Pourtant, cette méthode ne donne qu’une image partielle d’un tableau plus large », indique Halit Ongen, chercheur au département de médecine génétique et développement de la Faculté de médecine de l’UNIGE et premier auteur de la deuxième étude publiée dans Nature Genetics. « La base de données GTEx nous a permis de concevoir un modèle statistique qui relie les variations du génome non codant aux gènes et aux maladies. Néanmoins, pour être valide, l’analyse du risque de maladie doit aller plus loin, en définissant précisément dans quel tissu doit se trouver le gène mal exprimé pour que ce risque soit élevé. ». Les scientifiques ont ainsi pu classer la contribution de l’effet génétique des différents tissus sur les maladies. Et les résultats ont été surprenants! Dans le cas de la schizophrénie, par exemple, les tissus cérébraux apparaissent assez logiquement comme les premiers facteurs contribuant au risque de développer la maladie. Bien moins évident, l’intestin grêle semble également contribuer de manière substantielle à ce risque.
S’il existe déjà des éléments cliniques indiquant que l’intestin envoie des signaux au cerveau par le biais du microbiome, ces résultats révèlent que la génétique de l’intestin grêle pourrait influencer le microbiome qui, à son tour, affecterait le cerveau; cela pourrait être très utile pour orienter la recherche vers des organes qui, génétiquement, contribuent beaucoup à une maladie plutôt que de limiter la recherche aux organes touchés. Par exemple, on pourrait identifier des biomarqueurs qui pourraient servir de signaux d’alerte pour une maladie à venir.
[su_quote]Notre découverte a de nombreuses implications dans le domaine de la médecine personnalisée, et sont précisément les questions sur lesquelles nous travaillons au sein Centre de génomique Health 2030. La traduction de ces recherches fondamentales en applications cliniques profitera à tous, ici en Suisse, mais nous permettra aussi de mener d’importantes recherches qui façonneront la médecine de demain.[/su_quote]
De la recherche de pointe à la prévention personnalisée: un nouvel outil au service de la médecine de haute précision
Mieux comprendre comment le génome d’une personne influe sur la biologie des maladies agira également sur la prévention. « Nous pouvons maintenant intégrer les variations, les gènes et les tissus dans un seul cadre d’analyse. Si chez beaucoup de gens la maladie aura les mêmes effets, les perturbations biologiques qui l’y ont conduit peuvent varier considérablement », souligne Emmanouil Dermitzakis. « Notre découverte a de nombreuses implications dans le domaine de la médecine personnalisée, et sont précisément les questions sur lesquelles nous travaillons au sein Centre de génomique Health 2030. La traduction de ces recherches fondamentales en applications cliniques profitera à tous, ici en Suisse, mais nous permettra aussi de mener d’importantes recherches qui façonneront la médecine de demain. »
Informations bibliographiques complètes :
‘Predicting causal variants affecting expression by using whole-genome sequencing and RNA-seq from multiple human tissues’ has been scheduled for Advance Online Publication (AOP) on Nature Genetics’s
Andrew Anand Brown1–4 , Ana Viñuela1–3 , Olivier Delaneau1–3, Tim D Spector5, Kerrin S Small5 & Emmanouil T Dermitzakis1–3
1 Department of Genetic Medicine and Development, University of Geneva Medical School, Geneva, Switzerland
2 Institute of Genetics and Genomics in Geneva(iGE3), University of Geneva, Geneva, Switzerland
3 Swiss Institute of Bioinformatics, Geneva, Switzerland
4 NORMENT, KG Jebsen Centre for Psychosis Research, Oslo University Hospital, Oslo, Norway
5 Department of Twin Research and Genetic Epidemiology, King’s College London, London, UK
Source: communiqué de presse Université de Genève (23/10/2017)
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