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1er colloque du ROF : Recherche bien ordonnée commence par soi-même !

Comprendre l’ostéopathie dans la société contemporaine est indispensable pour lui donner une définition adaptée à son époque. Fini les retours sur le passé et les leitmotive sur la tradition. Un vrai travail de recherche en soi…

Un reportage réalisé par Reza RC

Pour aborder cette problématique, le ROF (Registre des ostéopathes de France) organisait le 5 juillet dernier à Champagne en Mont d’Or, à côté de Lyon (69), son premier colloque dont le thème était Ostéopathie : médecine du XXIe siècle. C’était également l’occasion de présenter le nouveau positionnement du ROF par la voix de son président François Ottavi Menager. Après avoir participé aux nombreux travaux gouvernementaux, il a pu constater qu’au niveau politique, l’ostéopathie n’était pas clairement définie. La profession avait connu une évolution démographique considérable rendant son exercice encore plus varié. Finalement, se demande François Ottavi Menager, qui sommes-nous ? « Si aujourd’hui trois points essentiels définissent la profession au niveau politique : les référentiels compétence, métier et formation, ce n’est pas suffisant. Il faut donc rassembler des compétences variées et des visions différentes pour fédérer l’ensemble des ostéopathes. Pour apporter des questions et pas nécessairement des réponses » explique-t-il. Même si ses missions restent centrées sur l’éthique et la déontologie, le ROF se demande aujourd’hui quel est le message qu’il doit véhiculer pour représenter les ostéopathes et répondre à la crise de croissance de l’ostéopathie. Le nombre d’ostéopathes a en effet doublé en quatre ans, passant de 11 000 à 22 000. Fini donc le temps des pionniers, il faut entrer dans une phase de maturation pour représenter une ostéopathie totalement intégrée dans la société française. Et François Ottavi Menager de conclure en citant Robert Perronnaud Ferret : « l’ostéopathie, c’est une médecine générale manuelle. Doit-on défendre cette vision ? »

Ostéopathie et médecine : cousins germains

Pour poser les premières bases de ces réflexions, le ROF a choisi d’inviter Jean-Marie Gueulette, docteur en médecine et théologie à l’Université Catholique de Lyon et également responsable du DU Philosophie de l’ostéopathie. En lui demandant si connaître l’anatomie, la technique et l’éthique était suffisant pour être ostéopathe.

Avant de répondre, Jean-Marie Gueulette constate que les connaissances et le mode de représentation du métier d’ostéopathe ne lui sont pas spécifiques. L’anatomie ne lui est pas propre (contrairement à l’acupuncture par exemple). Elle est la même que celle enseignée à la faculté de médecine et il n’existe pas de traité d’anatomie ostéopathique. De nombreuses heures d’enseignement sont consacrées à la physiologie et la pathologie médicale. Le cadre de la consultation ostéopathique n’est également pas spécifique. Les cabinets sont agencés de la même manière que ceux des médecins. Le déroulement de la séance est le même : d’abord un interrogatoire autour d’un bureau puis un examen sur une table. Le matériel est le même : appareil à tension, marteau pour les réflexes, etc. Les règles éthiques sont sensiblement identiques : secret professionnel, souci d’être bienfaisant, etc. Quant aux techniques, force est de constater qu’elles peuvent être pratiquées par d’autres soignants et d’autres professionnels de santé. Notamment, les médecins et les kinés qui « intègrent » l’ostéopathie dans leur boîte à outils. Enfin, les fameux principes de l’ostéopathie énoncés par A.T. Still avaient été évoqués par d’autres auparavant. Hippocrate notamment.

recherche ostéopathieLa spécificité est ailleurs …

Dès lors, pourquoi médecins et ostéopathes ont-ils de telles difficultés pour communiquer alors qu’ils partagent autant de points communs ? C’est parce que la spécificité de l’ostéopathie se situe ailleurs. « C’est fondamentalement dans sa manière de penser, dont les ostéopathes n’ont d’ailleurs pas conscience, que l’ostéopathie trouve sa spécificité et qui apparaît flagrante à d’autres observateurs » explique Jean-Marie Gueulette. Au-delà de la lutte socioprofessionnelle, si ces deux professions ont eu des difficultés à communiquer, c’est parce qu’elles ne se disent pas les mêmes choses même lorsqu’elles utilisent les mêmes mots. Le mot diagnostic par exemple désigne en médecine le processus qui aboutit à nommer une maladie. Pas en ostéopathie. De plus les modes de pensées sont différents. La pensée médicale est une pensée analytique qui tente d’isoler les questions les plus simples. Elle aboutit à une répartition de la médecine en spécialités. Alors que l’ostéopathie s’inscrit dans une pensée systémique.

L’élaboration d’un traitement ostéopathique est basée sur le recueil d’informations à travers l’écoute manuelle. Alors que l’action manuelle du médecin a pour finalité de confirmer une hypothèse. Son intervention thérapeutique aura ensuite pour média le médicament. Celle de l’ostéopathe est sans médiation. L’élaboration du diagnostic médical relève d’un processus d’abstraction très fort. La maladie n’existe pas (on parle par exemple de forme classique de la tuberculose). Alors que l’ostéopathe cherche à percevoir une dysfonction qui sera singulière à son patient. La lecture du corps à travers l’imagerie médicale n’est pas subjective. Les médecins peuvent ainsi utiliser des critères exacts de résultats. Le réel devient l’image des scanners et non plus le corps du patient. En ostéopathie, subjectivité et intersubjectivité entre ostéopathe et patients sont primordiales. L’ostéopathie utilise la métaphore pour exprimer sa lecture du corps, une description imagée compréhensible par un plus grand nombre de personnes.

Enfin, la recherche en ostéopathie est basée sur l’évaluation et la validation. Deux termes issus de la recherche médicale. Il serait plus opportun d’évaluer les techniques et la pratique quotidienne de l’ostéopathie par l’épidémiologie et la statistique. Valider l’efficacité des techniques permettra d’améliorer la performance ostéopathique.

Des connaissances partagées indispensables pour l’ostéopathe

Pour autant, l’anatomie et l’éthique sont des composantes indispensables de l’ostéopathie. Sans cet ancrage dans des connaissances partagées avec la médecine, l’ostéopathe exerçant seul devient vulnérable et sa pratique s’éloignera de l’ostéopathie. Mais l’ostéopathie ne se limite pas à la mise en oeuvre de l’anatomie, de protocoles, de techniques. Elle doit prendre en compte la subjectivité. Celle du patient qui nécessite des prises en charge spécifiques. Celle du praticien qui n’applique pas de protocoles standards à tous ses patients.

Après cette conclusion sur la nécessaire intersubjectivité de l’ostéopathie, la question de l’évaluation scientifique de l’efficacité des techniques ostéopathiques a été posée à Walid Salem, ostéopathe et chargé de recherche et d’enseignement à l’Université Libre de Bruxelles. Il a d’abord rappelé que la recherche de haut niveau est aujourd’hui multicentrique et il a cité l’exemple de son unité de recherche qui collabore étroitement avec l’école polytechnique de Bruxelles et la faculté de médecine (laboratoire d’anatomie fonctionnelle et d’embryologie). Ce dernier a ensuite présenté ses travaux de cinématique 3D sur la manipulation cervicale. Des travaux qui permettent d’apporter des réponses sur les risques inhérents à la manipulation cervicale et qui se concluent sur des propositions techniques pour les réduire au maximum (voir notre enquête Physiologie de la colonne cervicale : Fryette hors-la-loi ? parue dans L’ostéopathe magazine numéro 19). Ces travaux démontrent qu’il est possible d’évaluer les techniques ostéopathiques et d’ainsi revisiter certains concepts, parfois dogmatiques et jamais validés, comme les lois de Fryette. Une démarche qui permet de transformer les questions sous forme d’hypothèses valables.

L’EBM, à quoi ça sert ?

Robert Meslé, ostéopathe et fondateur de La Revue de l’Ostéopathie, a également été interrogé sur l’évaluation scientifique de l’ostéopathie. Ses réponses sont claires : l’évaluation scientifique de l’efficacité est nécessaire et possible. Est-ce pour autant suffisant ? Non. Il faut décloisonner les possibilités des méthodologies de recherche (biomécanique, sciences humaines, épidémiologie, etc.). Et après avoir présenté quelques études scientifiques, il est revenu sur l’EBM (Evidence Based Medicine) qui est apparue à la fin des années 80. Créée par des chercheurs, elle avait justement pour finalité de se soustraire à l’autorité médicale pour développer une recherche guidée par une autre méthode d’évaluation. L’EBM est ensuite devenu un outil politico-économique d’aide à la décision. Robert Meslé alerte également sur le niveau d’évidence des recherches en ostéopathie par rapport à la médecine. Comme le double aveugle n’est pas possible en ostéopathie, le niveau A de recherche ostéopathique ne sera jamais atteint. Dans ce cadre, la recherche ostéopathique se positionne d’emblée à un niveau inférieur aux études médicales. Il faut donc un autre système de cotation des études cliniques.

Au cours de ce colloque, le ROF a voulu également donner la parole aux étudiants à travers Kevin Lassale, 25 ans, étudiant en 6e année d’ostéopathie à l’ESO. Il est revenu sur son parcours scolaire au cours duquel il a cherché en premier lieu à se faire sa propre idée de l’ostéopathie. Une démarche qui l’a conduit à réaliser une impressionnante revue de littérature qu’il n’a pas hésité à partager avec les autres élèves de son école à travers un groupe de réflexion sur l’ostéopathie, le GRO. Il nous explique comment le TBA (Total Body Adjustement) est devenu une routine dans sa prise en charge qui lui permet d’identifier plus facilement les dysfonctions.

De la subjectivité à l’intersubjectivité

Fabien Revol, théologien et philosophe, est ensuite venu compléter le discours de Jean-Marie Gueulette en abordant les notions de subjectivité et d’intersubjectivité. Pour lui, l’ostéopathie représente un objet d’étude intéressant qui relie ses deux disciplines. D’un point de vue philosophique, Fabien Revol s’interroge : qu’est-ce que la recherche en science ? Pour y répondre, il reprend les courants de pensée philosophique, de l’antiquité à nos jours. La recherche représentait une méthode d’acquisition des choses qui nous entoure pour Platon et les philosophes de l’antiquité. Ils ont cherché quelles étaient les invariances de la nature qui permettent d’acquérir des connaissances certaines : l’idée de reproductibilité des faits est ainsi née. Plus tard, Galilée poursuivait : un objet de science doit être qualifié par sa possible quantification, c’est-à-dire par une mesure. Il fonde la physique moderne et depuis l’étude physique de la nature est liée à la quantification. Descartes apporte la réduction des phénomènes compliqués au simple par l’analyse. Il est alors possible de recomposer le compliqué à partir de ce qui est compris du simple. Claude Bernard sera à l’origine d’une démarche scientifique séquencée : hypothèse, test, protocole expérimental et résultats chiffrés et Karl Popper apportera la notion de falsifiabilité : toute théorie scientifique est vraie tant qu’il n’a pas été démontré qu’elle n’était pas fausse. En attendant, il existe une réalité transitoire.

« La recherche ostéopathique est-elle concernée par cette histoire ? » questionne alors Fabien Revol. Avant tout, il convient de distinguer recherche clinique et recherche fondamentale. La recherche clinique sert à prouver l’efficacité. Pour Fabien Revol la causalité de l’efficience thérapeutique ostéopathique et ses modalités ne peuvent être objet de science de manière absolue. Peut-elle être étudiée selon d’autres critères de la scientificité ?

Une piste méthodologique pour la recherche ostéopathique

Ce dernier propose le concept d’intersubjectivité sur lequel se réfère notamment la philosophie avec une scientificité relative à son domaine. Il n’est plus question de références objectives, mais de garanties. L’usage de la raison critique en est la médiation pour être capable en toute honnêteté intellectuelle d’établir la richesse ou les erreurs d’un propos. En ostéopathie, l’implication de la subjectivité et la singularité des situations thérapeutiques entraînent la remise en question des principes de reproductibilité. Il faut alors envisager d’accueillir une rationalité ostéopathique divergente de la rationalité scientifique. Et pour expliquer la complexité de certains phénomènes, Fabien Revol propose la théorie des phénomènes émergents. C’est une vision systémique des choses c’est-à-dire que certaines propriétés ne peuvent être déduites de la somme des propriétés (NDLR : pour relier cette notion systémique avec un exemple concret, vous pouvez relire notre dossier Douleurs chroniques et diffuses : une autre lecture du corps humain, paru dans L’ostéopathe magazine numéro 22).

Fabien Revol émet alors l’hypothèse que la perception ostéopathique ne porterait pas sur les différents niveaux de complexité systémique, mais sur des niveaux d’organisation de la nature qui échappe à la mesure scientifique. Un phénomène non mesurable appartiendrait à domaine métaphysique qui n’est pas surnaturel. Il existe un ou des modes alternatifs de connaissances de la nature dans sa dimension non mesurable ou quantifiable, c’est le domaine de la nature hyper-physique… Si au bout de ce cheminement intellectuel le théologien nous propose son explication de la Création, la démarche du philosophe permet néanmoins à l’ostéopathie de trouver un positionnement alternatif à la recherche scientifique classique.

Un problème sans solution est un problème mal posé

Ce premier colloque du ROF aura su mettre en en avant la recherche scientifique en ostéopathie tout en lui offrant de nouvelles perspectives par le biais de l’analyse philosophique. Le nouveau défi des ostéopathes sera d’abord d’intégrer ces problématiques puis d’y apporter des réponses. Pour donner à l’ostéopathie une identité réellement spécifique et pleine d’avenir. D’ici là, réécoutons la réponse d’Edgar Morin à la question Que signifie le mot recherche ? Réponse : « vivre pleinement la question ».

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