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Le développement affectif et la gestion des émotions chez les enfants

Le monde scientifique est encore réticent à l’égard de « l’affectivité et des émotions » en raison des difficultés à objectiver ces notions au travers d’études. Pourtant les neurosciences ont su prouver l’intérêt de comprendre et prendre en charge la dimension émotionnelle des enfants. Comment ?

Article tiré du reportage « Symposium d’ostéopathie de Montréal 2014 : L’ostéopathie sur son 31 » publié dans L’ostéopathe magazine #23 (Septembre-Octobre-Novembre 2014)

Joël Monzée*, docteur en neurosciences et professeur au sein du département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’université de Sherbrooke (Québec, Canada), nous apporte des éléments de réponse. Il nous rappelle que le cerveau atteint sa pleine maturation au bout de 45 années, notamment la croissance du cortex préfrontal. Ainsi, « tout ne se joue pas avant six ans », précise-t-il, et l’expérience vécue par l’être humain contribue à modifier le cerveau tout au long de sa vie. Fondamentalement, plus une fonction est nécessaire à la survie physique, plus elle se développe rapidement. À la naissance par exemple, le bébé est capable de respirer et de téter. Ses fonctions neurovégétatives sont opérationnelles et certaines habiletés relationnelles sont déjà installées pour permettre la rencontre entre la mère et l’enfant.

Sept ans minimum

Pourtant, il faudra au moins sept ans à la plupart des enfants pour être capables de marcher de façon optimale. Sept années, c’est donc le temps nécessaire au cerveau pour commander de façon optimale les muscles de la jambe et de la cheville et assurer une marche efficace. Ce même nombre d’années sera nécessaire pour que la dopamine soit suffisamment stable dans certaines zones du cerveau afin de déterminer si un enfant sera droitier ou gaucher dans sa manualité. En fait, il y a une influence sociale qui guidera certains enfants à devenir droitiers (même s’ils sont gauchers). Mais la latéralité concerne l’ensemble du corps et non uniquement la main. En effet, la motricité axiale est également latéralisée. Et s’il y a un conflit entre la latéralité axiale et distale, l’enfant aura des difficultés à se repérer dans l’espace, à s’organiser, à être habile autant en écrivant qu’en faisant certains sports, etc. Il sera plus facilement fatigué ou découragé devant les efforts à produire. Confronté à l’échec, il pourra s’opposer ou procrastiner pour ne pas ressentir une frustration pourtant légitime. Si 70 % des enfants sont droitiers et 10 % sont gauchers vers la fin de leur cinquième année, près de 20 % auront besoin de deux années de plus pour que leur cerveau soit assez mature et répondre aux exigences scolaires. Ce sont donc des enfants à risques au niveau de l’anxiété, de difficultés d’adaptation, de dyslexie ou de dyspraxie, alors que l’évaluation de leurs réactivités émotionnelles les amène souvent à être confondus avec celles des enfants ayant un trouble de l’attention ou faisant de l’hyperactivité.

Comment s’installent les « habiletés sociales » ?

Si des fonctions comme la marche et la latéralité, qui sont pourtant des caractéristiques majeures de l’espèce humaine, mettent des années à devenir matures, on peut se demander ce qu’il en est de la maturation des « habiletés sociales » ? Les habiletés sociales reposent sur une saine gestion émotionnelle, une communication non violente, une capacité à gérer la frustration et de se responsabiliser, une capacité d’entrer en relation intime et personnelle avec autrui, une capacité d’utiliser à bon escient ses mécanismes de défense (voire ne plus en avoir besoin), user d’empathie, etc. D’un point de vue neurologique, elles reposent sur des milliards de connexions entre neurones pour développer l’expérience de soi, l’expérience du Soi. De même, il faut du temps pour que la capacité de rebondir – la résilience – puisse s’enraciner chez un individu et lui permettre de traverser les difficultés en se sentant moins vulnérable, voire moins fragile, en relation dans leur relation avec autrui. Les habiletés sociales s’installent ainsi progressivement. Elles dépendent de phénomènes biologiques encodés génétiquement, mais soumis à la qualité de l’expérience de vie de l’individu. C’est pour cela qu’il faut diversifier les expériences de vie de l’enfant pour qu’il dispose progressivement des ressources nécessaires pour s’impliquer, se responsabiliser et s’épanouir sur le plan personnel et social. Toutefois, un phénomène peut ralentir, voir perturber le processus de maturation cérébrale et donc le développement cognitif et social : le stress vécu par l’enfant sans qu’il ne sache (ou ne se sente) suffisamment en sécurité sur le plan affectif. Le cortex préfrontal des enfants ne dispose pas des ressources nécessaires suffisantes pour inhiber des réactions naturellement liées au stress.

Le stress invisible de l’enfant

Or ces situations stressantes peuvent passer inaperçues aux yeux des adultes qui ont, eux, accepté voir banalisé ces situations stressantes dans leur quotidien. La manifestation du stress est intimement liée à l’activité des amygdales cérébrales qui déclenchent en boucle des réactivités physiologiques, hormonales et comportementales. Ces manifestations peuvent se faire de deux manières :

  1. Augmentation de l’activité cardiorespiratoire et libération hormonale pour fuir ou attaquer l’agent stresseur. Le sang va aller dans les jambes et les bras de l’enfant pour le préparer à réagir. Mais l’enfant n’a pas toujours la possibilité de s’enfuir d’une pièce ou de s’opposer à un adulte. Il va donc s’agiter par des mouvements excessifs : c’est sa réponse au stress. À noter que cette réaction est prédominante chez le petit garçon.
  2. Diminution du rythme cardio-respiratoire. Le sang se répartit alors plus dans les viscères que dans les extrémités. La rêverie est alors un moyen pour se dégager de l’agent stresseur. Cette réaction passe souvent inaperçue, mais peut entraîner difficultés affectives à l’âge adulte. La petite fille est principalement concernée.

De plus, la réaction des garçons est plus adaptée aux stress courts alors que celle des filles s’adresse aux stress chroniques. Le stress chronique chez un enfant finit par altérer son hippocampe et affecter sa capacité d’apprentissage. Cette conclusion pourrait expliquer la meilleure réussite des filles dans les études, car le système d’éducation est peu approprié aux facultés d’adaptation des garçons. La recherche en neurosciences démontre aujourd’hui que les interventions éducatives et thérapeutiques modifient l’organisation du cerveau et conduisent à une meilleure efficacité des contacts entre neurones, donc à des fonctions plus efficaces. Si différents courants de pensées se confrontent en psychologie, les neurosciences montrent que c’est la qualité du lien entre le patient et le thérapeute qui prévaut pour la réussite d’un processus psychothérapeutique. C’est même le facteur numéro un de la réussite de la thérapie et la technique ne sert qu’à rassurer le mental autant du thérapeute que du patient.

Quel rôle pour les ostéopathes ?

La meilleure compréhension des enjeux du développement affectif des enfants permet d’observer la construction de leur personnalité. Différentes écoles de pensées dictent la manière d’intervenir. Beaucoup de ces techniques sont centrées sur les symptômes et autres problèmes comportementaux et non pas sur les besoins de l’enfant en termes de développement affectif. Or, un enfant qui ne se sent pas vu, entendu et reconnu à travers une relation respectueuse aura plus de difficultés à choisir de bons comportements à l’inverse de l’enfant qui grandit auprès d’adultes bienveillants et intègres. Il est du rôle des soignants, et notamment des ostéopathes, d’apporter ce cadre bienveillant pour lutter contre le stress des enfants. Si l’enfant se sent en sécurité affective auprès de l’intervenant, le corps, et plus particulièrement le système nerveux, sera plus apte à recevoir le traitement.

* Joël Monzée, est directeur et fondateur de l’Institut du développement de l’enfant et de la famille (Québec, Canada), professeur associé au département de pédiatrie (2009-2012), puis au département de psychiatrie depuis 2013 de la Faculté de médecine de l’université de Sherbrooke (Québec, Canada). Il est également chercheur au sein du Laboratoire Santé, éducation et situation de handicap de l’université de Montpellier 1. Titulaire d’un doctorat en neurosciences, d’une maitrise de recherche en neuro kinanthropologie et d’une maîtrise clinique en psychomotricité, il est l’auteur d’ouvrages de référence en neuropsychologie, en éthique en santé et en médecine intégrative, notamment : Neurosciences, psychothérapie et développement affectif de l’enfant, Liber, 2014 Soutenir le développement affectif de l’enfant, CARD, 2014 Dire Oui à la Vie, Dauphin Blanc, 2013 Devenir Soi, Dauphin Blanc, 2011 Ce que le cerveau a dans la tête, Liber, 2011 Médicaments et performance humaine, Liber, 2010 Neurosciences et psychothérapie : convergences ou divergences ?, Liber, 2009

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