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Symposium d’ostéopathie de Lausanne 2016 : Du ventre au cerveau, de la recherche à l’ostéopathie

Symposium d’ostéopathie de Lausanne 2016 Du ventre au cerveau, de la recherche à l’ostéopathie. À l’occasion des journées de la section vaudoise de la FSO (Fédération Suisse d’Ostéopathie) la question du Système Nerveux Entérique (SNE) et du système digestif a été abordée les 5 et 6 novembre 2016 à Lausanne. Avec la science comme guide, l’ostéopathie peut grandement élargir son champ d’action et ses possibilités thérapeutiques. Mais quelles pistes explorer ?

Article tiré de la rubrique  « Actualités » publié dans L’Ostéopathe magazine #31 (Décembre-Janvier-Février 2016)

La recherche sur la sphère viscérale est en plein essor. Les possibilités thérapeutiques sont immenses car le ventre joue un rôle dans notre immunité, notre humeur, nos émotions, etc. En un mot, sur tout notre équilibre. Au cours de cette journée de conférences, chercheurs et médecins nous ont ouvert les portes de ce monde ou l’ostéopathie est déjà présente. Mais il reste encore beaucoup à explorer. Francois Allart, ostéopathe DO et modérateur de la journée, a rappelé combien notre langue était riche en expressions imageant notre système viscéral. Il nous a rappelé aussi que la vision portée sur ce système avait beaucoup évolue au cours des dernières années avec l’émergence de la neurogastroentérologie.

L’idée d’un lien entre certaines problématiques psychologiques et le microbiome fait doucement son chemin. La clé de futurs traitements se trouve peut-être dans notre ventre. Les recherches sur l’ostéopathie vont bon train et il semble qu’elle puisse offrir une amélioration de la qualité de vie dans plusieurs problématiques liées au système digestif. Bien souvent nomme deuxième cerveau du corps humain ces dernières années, le système digestif semble de nouveau être le centre des attentions pour des pathologies neurologiques comme la maladie de Parkinson. Pour autant, cette appellation de deuxième cerveau est-elle justifiée ?

Axe cerceau-Intestin

Le cerveau dans les tripes ?

Pour répondre a cette question, les professeurs Pavel Kucera et Noel Mei ont, à travers leur passionnant expose, présente le cœur du fonctionnement du SNE. Pavel Kucera, professeur honoraire de la faculté de médecine de l’Université de Lausanne, a d’abord fait de brefs rappels anatomiques sur ses différentes voies d’échange d’informations (nerveuse, humorale) et sur ses différents facteurs modulateurs (immunitaire, microbiome). Comment fonctionne ce système digestif ? Riche en neurones (2×108 neurones), il joue la plupart du temps un rôle essentiellement inconscient (au sens scientifique du terme), illustrant la maxime de René Leriche :  » La santé, c’est le silence des organes « . Si cet aspect justifie la plupart du temps l’appellation de second cerveau fréquemment reprise, il faut davantage parler d’axe cerveau-intestin tant ce dernier fonctionne de pair avec le premier (figure 1). Cet échange se fait majoritairement dans le sens ascendant (sensitif), ce qui est logique puisque les nerfs vagues et les nerfs splanchniques sont essentiellement sensitifs. Cela montre un aspect essentiellement modulateur du système nerveux central (SNC), laissant le système nerveux entérique (SNE) gérer de manière autonome les fonctions qui sont les siennes. Le professeur Kucera a mis en avant le fait que les troubles viscéraux fonctionnels qui entrent dans le champ de compétence de l’ostéopathe sont caractérises par une hyper sensibilité viscérale (douleur) et un trouble de motilité. Il formule l’hypothèse que cette perturbation de la motilité participe à la pathogenèse de ces troubles fonctionnels qui peuvent traduire une mauvaise coordination entre le SNE et le cerveau.

[su_box title= »Émotions et viscères… Juste une question d’échelle ? » box_color= »#ef5602″ title_color= »#ffffff »]Pour compléter les réponses apportées par les professeurs Kucera et Méi, il nous faut présenter les travaux d’Antonio Damasio, notamment sur la question des émotions. Celui-ci considère que l’homéostasie est constituée par de nombreux niveaux de système de régulations. On trouve à sa base la régulation métabolique ou la réponse immunitaire par exemple et dans les niveaux de régulation les plus hauts, les sentiments et les émotions. Ce dernier explique que « des processus homéostatiques chimiques aux émotions proprement dites, les phénomènes régulant la vie, sans exception, ont directement ou indirectement trait à l’intégrité et à la santé de l’organisme. Sans exception, tous ces phénomènes sont liés aux adaptations de l’état de notre corps et donnent parfois lieu à des modifications de l’encartage cérébral des états du corps, ce qui forme la base des sentiments ». Ainsi, certaines émotions ont des répercussions importantes sur l’homéostasie comme la peur ou la tristesse qui peuvent inhiber la faim.[/su_box]

Étudier la motilité en temps réel

Avec son équipe de chercheurs, Pavel Kucera a mis au point une capsule magnétique (motility tracking system) permettant de suivre le bol alimentaire en temps réel et ainsi étudier la composante de motilité (figure 3). L’ingestion de cette capsule est accompagnée d’un repas et l’ensemble des repas et des ingestions d’aliments est ensuite dument note afin d’étudier au mieux la réponse des organes viscéraux a ces événements. Les premiers résultats présentés lors de ces journées permettent d’imaginer des réponses aux troubles fonctionnels viscéraux. Pour l’instant, les études portent principalement sur des sujets sains pour définir un point de comparaison lors de futures études sur sujets pathologiques. Lors des questions-réponses, la question de l’utilisation de ce dispositif pour observer le transit en fonction du type d’aliment ingéré a été soulevée. Les informations obtenues via cette capsule pourraient objectiver l’effet réel d’un traitement ostéopathique sur la motilité digestive. Tout un horizon de recherche s’ouvre donc aux ostéopathes que la sphère digestive passionne.

Le rôle central du système nerveux entériqueSans-titre-3

Noel Mei, ancien directeur de recherche au CNRS du Laboratoire de Neurobiologie de Marseille, a prolongé les réflexions du professeur Kucera avec ses connaissances sur la physiologie complexe du système nerveux entérique en général et du système nerveux autonome (SNA) en particulier. La sensibilité viscérale projette abondamment dans tout le SNC, révélant des fonctions du SNA plus diverses que ce que l’on imagine. L’organisation du SNE dans les viscères est connue (figure 4). Elle fait intervenir de nombreux neurotransmetteurs, neuropeptides, gaz, hormones, tachines et endorphines. Il semble que le SNA et le SNE puissent intervenir au-delà de l’homéostasie. C’est-à-dire sur le comportement, notamment par la voie vasculaire avec l’action de certaines hormones comme la ghreline. En cas de présence d’un agent pathogène dans le tube digestif, ce dernier, par le biais de la réaction inflammatoire, fera remonter l’information vers l’hypothalamus par la voie vasculaire, mais aussi nerveuse par le biais du nerf vague. Notons que cette structure est en relation avec beaucoup d’autres structures du système limbique ou cerveau émotionnel. Le cerveau émotionnel interagit avec le cortex frontal, mais intervient aussi dans les mécanismes de la mémorisation. Enfin, le SNE occupe un rôle central dans les relations entre le microbiote et le SNC. Pour toutes ces raisons, le SNE est un cerveau, mais pas le cerveau du corps humain.

Le microbiote, cet alter ego mal connu

Le microbiote, il y a encore quelques années, était un territoire vierge à explorer nous explique Jacques Schrenzel, médecin adjoint agrégé, responsable du laboratoire de bactériologie et du laboratoire de génomique, HUG, Genève. De nombreuses publications et travaux de recherches ont depuis levé une partie du voile sur le potentiel de cet écosystème. Les espèces bactériennes classiquement analysées et cultivées représentent moins de 1 % des bactéries présentes dans le microbiote qui contient 1014 bactéries (soit 1 à 2 kg). Il reste encore beaucoup à découvrir et c’est là que le bât blesse. Actuellement, nous n’avons pas d’idée précise de la composition du microbiote et surtout de celle d’un microbiote « sain ». Nous savons déterminer par exemple si nous avons affaire à un microbiote d’un malade de Crohn, s’il est en crise, en rémission ou s’il va faire une récidive. Mais nous ne savons pas vraiment quel microbiote est physiologique pour ce patient. Nous connaissons son importance et savons que l’accouchement par césarienne change totalement le microbiote du nouveau-né. Celui-ci sera avant tout d’origine cutanée par le peau-a-peau et l’allaitement maternel tandis que l’enfant ne par voie basse bénéficiera des bactéries de la filière gynécologique. C’est d’ailleurs une des raisons qui ont amené à l’utilisation du Vaginal Seeding chez les enfants nés par césarienne pour tenter de compenser ce défaut. Mais nous n’avons pas beaucoup de recul sur cette pratique.

Microbiote et génétique : une interaction surprenante

De nombreuses études sur l’obésité ont montré que le microbiote était influence par le code génétique humain. En effet, un patient porteur de gènes de prédisposition à l’obésité aura une flore bactérienne en rapport avec ce génome (avec beaucoup plus de Firmicutes que de Bacteroidetes) et le régime alimentaire n’est pas en cause dans cette différence. Leur microbiote permet une plus grande captation de l’énergie disponible dans la nourriture participant ainsi à l’obésité chez le porteur.

Le microbiote enfin est susceptible d’évoluer au cours de la vie, passant d’un état d’équilibre à un autre. Lorsque l’équilibre est perdu, on parle de dysbiose. Néanmoins, dans un certain nombre de cas, il a été possible de restaurer le microbiote après une infection a Clostridium difficile par un traitement probiotique cible. Ce qu’il faut comprendre, c’est que le microbiote est un système qui évolue au cours de la vie en fonction des interactions du patient avec son environnement, de ses habitudes de vie, de la consommation de certains aliments, médicaments ou boissons. Il s’adapte au phénotype du patient, mais peut parfois perdre son fragile équilibre et participer au développement de certaines pathologies. L’intestin perd alors sa fonction de barrière sélective et peut laisser passer des composes participant à la pathogenèse de certains troubles/maladies parfois chroniques (sclérose en plaque, polyarthrite rhumatoïde, maladies inflammatoires).

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Le microbiote : équilibre dynamique et adaptation constante

La capacité codante des bactéries (microbiome) révèle de nombreuses fonctions bactériennes qu’il nous reste à découvrir. De même, le microbiote peut changer la métabolisation des médicaments et cette question peut s’avérer cruciale dans bon nombre de traitements médicamenteux. Ne connaissant pas le fonctionnement physiologique du microbiote, il convient de garder à l’esprit que les interactions sont complexes et multifactorielles. Ainsi, lorsque nous donnons des conseils à nos patients sur l’alimentation ou sur les probiotiques, tachons de ne pas nous engager dans des interventions dont ne connaissons pas les conséquences sur la santé du patient. Primus Non Nocere. Si nous reprenons la question des interactions du microbiote avec son hote, nous avons vu qu’il pouvait conduire à une obésité en captant mieux l’énergie disponible dans le bol alimentaire reprend Laurence Genton, FMH Médecine Interne, médecin adjointe agrégée, chargée de cours, Nutrition Clinique, HUG, Genève. Les transplantations fécales ou microbiotiques sont des traitements en cours d’évaluation. Ils semblent prometteurs pour certaines pathologies, mais certaines de leurs conséquences restent aléatoires. Citons le cas d’une femme traitée pour Clostridium difficile par la transplantation microbiotique de la flore bactérienne de sa fille. Si l’infection a été résolue par ce traitement, la patiente a subi une prise de poids de 15 kg en un peu plus d’un an.

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Le microbiote joue-t-il un rôle dans les cancer ?

Notons que la tendance inverse est possible. Il a été mis en évidence dans les cas de cachexie, une modification du microbiote. Cet aspect s’avère crucial dans la prise en charge de certains cancers dont l’altération de l’état général passe par une perte de poids. Or la perte de poids, notamment musculaire, augmente le risque de mortalité. C’est donc une piste explorée avec soin pour améliorer les chances de succès des traitements dans les cancers. Ces observations peuvent et doivent soulever des questions sur les mécanismes d’action du jeune par exemple sur le microbiote.

L’ostéopathe à l’écoute d’un ventre longtemps trop négligé

Pour compléter ces interventions avec un regard ostéopathique, Jean-Pierre Barral, ostéopathe DO, rappelle que l’approche viscérale doit prendre en compte l’aspect viscoélastique du système digestif. De plus, il faut s’intéresser au lien entre émotion et organe car il semble que les dysfonctions digestives soient pour une bonne part responsables des douleurs qui amènent les patients à consulter les ostéopathes. Grâce aux expériences qu’il a menées à l’aide de PET Scans, Jean-Pierre Barral a pu mettre en évidence les reactions de nombreuses structures cérébrales (cervelet, thalamus, hypothalamus, hypophyse, cortex moteur) lors de prise en charge de patients au niveau viscéral. De même, le toucher induisait une réaction du système limbique. Ces données sont cohérentes avec les constatations cliniques évoquées par les professeurs Kucera et Mei. Il est à espérer leur publication prochaine dans une revue à comité de lecture pour contribuer au corpus scientifique de l’ostéopathie. La dysfonction somatique perturbe les fonctions du SNA et donc la vascularisation. Les variations thermiques au niveau du derme s’avèrent d’une aide précieuse pour évaluer les traitements ostéopathiques. Au final, les manipulations viscérales doivent être employées en gardant en tête l’ensemble des informations cliniques recueillies lors de l’examen clinique. Avec l’expérience du praticien, l’aspect émotionnel doit être intégré à cette approche pour inscrire les ostéopathes dans une démarche la plus globale possible.

[su_tabs active= »2″][su_tab title= »Les mouvements embryonnaires : Un mélange subtil de physique et de génétique »] Les mouvements embryonnaires et leurs déterminants ont été étudiés par Vincent Fleury, chercheur du CNRS et spécialiste de la morphogénèse. Il a beaucoup étudié les champs morphogénétiques et la manière dont l’embryon se forme pour mettre en évidence que les déplacements sont déterminés par les lois physiques, prévisibles et donc modélisables. La génétique quant à elle, semble accentuer ou freiner ces phénomènes physiques selon l’espèce dont est issu l’embryon. Cette association lois physiques/expression génétique expliquerait les similitudes observées entre embryons de différentes espèces et l’existence d’une sorte de patron commun. Les lois physiques limiteraient ainsi les possibilités de mouvements des tissus embryonnaires.[/su_tab][/su_tabs]

Que chercher dans le ventre du nourrisson ?

Autre regard ostéopathique, celui d’Helene Tacussel, ostéopathe DO, sur les nourrissons sujets aux troubles de la succion et de la déglutition. L’enfant pourtant en bonne santé est agité. Il pleure fréquemment au grand désespoir de ses parents. L’ingestion d’air, la dysmotricité intestinale et les difficultés dans la construction du lien parent-enfant participent à l’apparition de coliques si fréquentes. L’approche de la sphère digestive chez le nourrisson n’est pas chose aisée. Entre nos mains d’adulte, ce ventre est si petit. Comment le prendre en charge ? Que faut-il chercher ? L’embryologie apporte de nombreuses réponses à ces questions. Les différentes rotations autour d’un axe ventro-dorsal et cephalo-caudal sont capitales. Un excès ou un défaut de ces rotations vont apporter leur lot de troubles chez le nourrisson : reflux gastro-oesophagien, colique, etc. L’attitude en virgule du nourrisson peut induire d’autres tensions, perturber le nerf vague renforçant ainsi le mécanisme dysfonctionnel. Enfin, on suspecte l’existence d’un microbiote in utero. Rappelons également que cette période est cruciale dans la maturation du SNE et dans la constitution du microbiote. La prise en charge de ce système en plein bouleversement est particulièrement sensible à l’intervention de l’ostéopathe.

Plus qu’un second cerveau, un écosystème à part entière

De nombreuses pistes de recherches montrent que le système digestif n’est pas seulement un cerveau abdominal, mais aussi un écosystème microbien dont les interactions complexes avec le SNE, mais aussi avec le SNC restent à explorer. L’ostéopathe, par son action sur le SNE, mais aussi sur la motilité, est parfaitement dans son champ de compétences. Son action n’est peut-être pas sans effet sur le microbiote. Ses conseils aux patients peuvent également avoir un impact non négligeable (figure 5). Les recherches apporteront, soyons-en certains, des réponses qui changeront notre vision de l’ostéopathie dans le champ viscéral.

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Par Laurent Marc, ostéopathe DO

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