Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Le compagnonnage en ostéopathie : option ou devoir ?

D’Hippocrate à A.T. Still, le compagnonnage semble profondément inscrit aussi bien en médecine qu’en ostéopathie. Ce mode de transmission des savoirs existe-t-il encore dans notre époque contemporaine ? Les réponses de Philippe Mahé.

Le compagnonnage est une tradition française inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’humanité depuis 2010.
Il représente le fait d’aller chez un maître pour se perfectionner au niveau professionnel. De manière plus large, il incarne le passage des acquis intellectuels à la pratique. Les métiers de la santé ont toCompagnonnageenostheopathie#26ujours eu recours au compagnonnage. L’étudiant demandait à voir un ancien et l’ancien recevait l’étudiant sur son lieu de travail. Mais aujourd’hui, c’est rare. Après avoir été diplômé, le jeune thérapeute s’installe et exerces on métier.

D’Hippocrate à Still : la transmission sous serment

En médecine, le serment d’Hippocrate est garant de cette transmission. Le texte d’origine dit : « je vais enseigner à mes fils aux disciples liés par un engagement (…), mais à nul autre ». Dans la version moderne de ce serment, il n’y a aucune mention de l’enseignement, du partage et du savoir-faire. À la faculté de médecine de Montpellier, il est néanmoins précisé : « je serai respectueux et reconnaissant envers mes maîtres, je rendrai à leurs enfants l’instruction que j’ai reçue de leurs pères ». Si Hippocrate était attentif à cette notion de transmission, comment a-t-il appris ? Issu d’une famille de médecins, les Asclépiades, il apprend la médecine auprès de son père. Très tôt, il quitte son île Cos pour suivre l’enseignement d’autres maîtres.

Il fonde ensuite son école pour transmettre ses acquis. Le parallèle avec la vie d’Andrew Taylor Still se dessine de lui-même. Comme Hippocrate, il a appris de son père, créé son propre système de soin et fondé son école.
La formation médicale actuelle en milieu hospitalier perpétue cette tradition à travers une chaine d’apprentissage. L’interne forme l’externe, le chef de clinique livre son expérience à l’interne et à l’externe. L’agrégé et l’assistant enseignent aux trois premiers et le « patron » distribue son savoir à tout le monde.
Qu’en est-il aujourd’hui du compagnonnage en ostéopathie ? Au cours des cinq années de formation en ostéopathie, l’étudiant acquiert une pratique clinique à l’école et sur ses lieux de stage. Est-elle suffisante pour exercer une fois diplômé ? Non. Car cette mise en pratique de ses acquis reste limitée à des cas sans trop de gravité. De plus, il n’est pas forcément encadré par un ancien…

Une individualité collective

Les processus mis en jeu dans l’apprentissage vont plus loin que la simple acquisition de savoirs. Ils font appel à la notion d’individuation de Karl Gustav Jung, médecin psychiatre suis- se et fondateur de la psychologie ana- lytique. Grandir en soi à travers une épreuve permet de cheminer du moi au soi. Ainsi l’individuation n’existe que lorsqu’elle est partagée (structure de la psyché selon Karl Gustav Jung). Si de manière individuelle, il existe des demandes et des accueils spontanés de compagnons ostéopathes dans leur cabinet, il n’existe pas en ostéopathie de programme de contenu. Il n’y a pas de rencontres entre maîtres alors que la faculté de médecine par exemple impose des rencontres entre maîtres de stage. Ce non-encadrement a des avantages : il est basé sur la confiance, l’enseignement est libre, il n’y a pas de limite d’âge, etc. Mais également des inconvénients. Il donne une vision univoque du métier, donne un rôle de gourous à certains thérapeutes au lieu d’ouvrir les esprits, etc. On peut d’ailleurs se demander quoi penser des techniques déviantes. Est-il nécessaire d’avoir une dose d’ésotérisme ou doit-on baliser le chemin de la connaissance ?

L’apprentissage est une voie qui dépasse le but

Organiser le compagnonnage en ostéopathie permettrait de présenter un choix de praticiens disponibles pour l’accueil et dont la spécificité de chacun serait connue à l’avance. Cela permettrait également d’encourager la pratique du compagnonnage. En revanche, il y aurait une restriction dans la liberté de pratique, une exclusion des « atypiques » et modification du rapport entre enseignants et apprenants. Si obtenir le diplôme d’ostéopathe est un but, l’apprentissage est une voie qui dépasse ce but.

Apprendre l’ostéopathie : labyrinthe ou dédale* ?

Le compagnon est guidé dans sa progression par un ancien qui lui enseigne et lui apprend les bons gestes comme dans un labyrinthe. Pourquoi ce mot de « labyrinthe » et quelle symbolique représente-t-il ?
Il ne s’agit pas ici du labyrinthe tel qu’on en rencontre dans les magazines de jeu, où l’on doit aller d’une entrée vers une sortie pour se distraire. Il s’agit du labyrinthe dans sa forme symbolique tel qu’il a pu être représenté sur le parvis de certaines églises où il représente alors le pèlerinage en Terre sainte ; et ceux qui ne pouvaient se rendre à Jérusalem avaient la possibilité de faire un pèlerinage symbolique en parcourant ce labyrinthe à genou. Le compagnonnage reprend ce symbole et en fait l’image de l’initiation au métier. Le compagnon entre dans le labyrinthe ; il chemine vers un centre qu’au départ il n’aperçoit pas. Il s’approche de ce centre et de son but, puis s’en écarte, rejeté à la périphérie du labyrinthe, puis il s’en rapproche encore et s’en écarte de nouveau… Tandis qu’il chemine, sa vision est contenue dans les limites du labyrinthe, il ne sait donc pas à quelle distance il se trouve du centre. Il sait ce qu’il cherche, mais il ne progresse pas moins en partie dans l’inconnu. Le parcours du compagnon est un aller-retour entre acquisition d’une connaissance et remise en question des acquis, pour aller plus loin encore, pour davantage viser le centre. Mais atteindre le centre du labyrinthe n’est pas suffisant ; une fois qu’il y est parvenu, le compagnon doit encore ressortir, refaire le chemin en sens inverse. Le compagnon acquiert d’abord la maîtrise de son métier quand il atteint le centre (qui n’est autre que le centre de son propre être) ; mais dans un second temps, il doit transmettre ce qu’il a acquis. C’est la sortie du labyrinthe et le début de la seconde étape de son parcours : la transmission à d’autres de ce qu’on a soi-même acquis.

* le labyrinthe ne signifie pas un égarement dans un lieu dont on ne trouve pas la sortie, mais un cheminement dans un sentier tortueux. C’est toute la différence entre le labyrinthe et le dédale.
Dès que l’on commence à avancer dans un labyrinthe, on est sûr d’atteindre la sortie. Il n’y a qu’un seul chemin possible, mais il accumule les dé- tours qui vous donnent l’impression d’être perdu. Dans un dédale au contraire, il faut choisir à chaque croisement son chemin si bien qu’un grand nombre d’itinéraires sont possibles dont la plupart ramènent sur vos pas ou aboutissent à un cul-de-sac.

Source : Extrait du Labyrinthe : étude comparée de la transmission compagnonnique et ostéopathique, Xavier Lemane, Mémoire de fin d’études d’ostéopathie, 2013

Cet article est réservé aux abonnés.

Vous êtes curieux ? Bénéficiez d’un accès illimité à tous les articles du site et bien plus encore… en vous abonnant !

Picto-IdPicto-Abo

Partager cet article

Ecrire un commentaire

Nous utilisons les cookies afin de fournir les services et fonctionnalités proposés sur notre site et afin d’améliorer l’expérience de nos utilisateurs.
Les cookies sont des données qui sont téléchargés ou stockés sur votre ordinateur ou sur tout autre appareil.
En cliquant sur ”J’accepte”, vous acceptez l’utilisation des cookies.