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Collaboration interprofessionnelle en ostéopathie pédiatrique : mode d’emploi

Rendez-vous 2015 était la première conférence mondiale sur l’ostéopathie pédiatrique et la collaboration interprofessionnelle. Elle s’est déroulée à Montréal du 24 au 26 septembre. Avec 55 conférenciers issus de 11 pays différents, 25 conférences et 26 ateliers, l’objectif des organisateurs a été atteint.

Un reportage réalisé par Elise Bouyssou,
ostéopathe DO à la maternité du Centre Hospitalier Jean Leclaire à Sarlat (France).

Cette conférence mondiale était organisée par Ostéopathie Québec (OQ), la principale association professionnelle
d’ostéopathes au Canada. Alain Bouchard, principal organisateur de Rendezvous 2015 s’était fixé comme objectif de réunir les meilleures expertises mondiales en ostéopathie pédiatrique. Résultat : 55 conférenciers issus de 11 pays différents, 25 conférences et 26 ateliers ont fait de cette manifestation un événement inédit en ostéopathie.
À noter qu’OQ a profité de l’occasion pour inviter l’OIA (Osteopathic International Alliance) à tenir sa réunion annuelle dans le même lieu. Le Canada a en effet récemment intégré l’OIA. L’ostéopathie, bien qu’enseignée depuis 35 ans au Québec, est aujourd’hui à la veille de la création d’un ordre professionnel. Elle sera alors reconnue comme une profession indépendante. C’est pourquoi les problématiques de la communication et du travail interprofessionnel ont été placées au coeur des conférences. Les professionnels impliqués dans la prise en charge de l’enfant sont en effet nombreux : pédiatre, sage-femme, médecin de famille, orthophoniste, ergothérapeute, enseignant, etc. Comment l’ostéopathie peut-elle se positionner intelligemment pour améliorer la prise en charge de l’enfant ?

Keep calm and collaborate

La première conférence présentait des travaux de recherche sur la collaboration interprofessionnelle
et ses concepts. Elle était animée par Isabelle Gaboury, professeure et chercheuse à l’Université de Sherbrooke (Canada) et Chantal Mori ostéopathe, ergothérapeute et professeure boursière du fond de recherche en santé du Québec. Si l’ostéopathie pédiatrique était au centre de cette intervention, elle a néanmoins débuté par un rappel historique sur la collaboration entre professionnels de la santé qui a pris son essor
dans une période trouble, après la seconde guerre mondiale. Avec pour objectif principal de diminuer les coûts de prise en charge, elle reposait sur trois principes : confiance, engagement et communication. Cette collaboration ne doit pas être figée dans le temps, mais évoluer avec le patient. Elle entraîne une dépendance vis-à-vis d’un partenaire et lorsque la collaboration est poussée, elle conduit à l’interdisciplinarité. La différence entre collaboration et interdisciplinarité : les décisions sont prises en commun et l’identité de chaque profession est diminuée. Les facteurs de réussite d’une collaboration interprofessionnelle reposent sur la collégialité, la connaissance des autres professions la composition de l’équipe (un trop grand nombre de professionnels n’est pas un facteur favorisant), la formalisation écrite et la proximité physique des membres de l’équipe. Ce travail nécessite d’être réceptif, de prendre le temps d’écouter et de savoir expliquer son travail et ses résultats. Ce dernier point est souvent une difficulté pour l’ostéopathe.

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Expliquer son travail et ses résultats : une difficulté pour l’ostéopathe

Chantal Morin annonce qu’au Québec depuis 2010, l’ostéopathie est la médecine complémentaire la plus recommandée et que les parents souhaitent une collaboration et une communication entre médecins et ostéopathes. Les deux chercheuses ont alors décidé de mener une étude pour décrire cette collaboration. Un sondage a été envoyé à tous les ostéopathes membres d’OQ, aux médecins de famille ayant un intérêt en pédiatrie et aux pédiatres. Les taux de réponse étaient très variés selon les professions : 13 % pour lesmédecins contactés ont répondu, 17 % pour les pédiatres et 41 % pour les ostéopathes.
Les résultats préliminaires nous apprennent que 20 % des nouveaux enfants arrivant en ostéopathie sont adressés par le corps médical et plus de la moitié sont envoyés pour un torticolis ou une plagiocéphalie. Les femmes ainsi que les jeunes sont les médecins qui renvoient le plus souvent leur patient vers des ostéopathes. Les facteurs favorisants sont la connaissance personnelle d’un ostéopathe et une expérience positive des patients et les médecins de famille adressent plus facilement vers les pédiatres.

Une communication indirecte

La communication entre les professionnels reste cependant indirecte. C’est le patient qui sert d’intermédiaire. Les ostéopathes
évoquent quant à eux des difficultés pour produire des écrits et verbaliser leurs prises en charge. Le langage ostéopathique leur
pose un problème de crédibilité. Les médecins quant à eux expliquent référer vers l’ostéopathie en raison de résultats cliniques, la communication avec les ostéopathes et le retour positif des patients. Ils évoquent l’importance pour eux de travailler avec des
ostéopathes qui affichent leurs spécialités etleurs formations. Même si le corps médical avoue avoir des difficultés à « voir clair » dans la qualité de formation des ostéopathes. Ils apprécient que les ostéopathes référent et réorientent des patients vers eux lorsque cela
est nécessaire. Pour expliquer cette situation, les médecins évoquent un manque de connaissance de l’ostéopathie, très peu, voire pas du tout, abordée dans leur formation, et l’absence de régulation et d’ordre professionnel. De leur côté, les ostéopathes déplorent le manque
de retours sur les courriers adressés au corps médical faisant naître la sensation d’un échange à sens unique. Ces derniers reconnaissent
qu’un travail de langage et d’apprentissage de la communication doit être réalisé.
Conclusion : la communication entre le corps médical et les ostéopathes autour de la priseen charge des enfants existe ! Mais elle peut
encore être améliorée. Les conférencières nous ont donné rendez-vous au symposium 2016 de IN-CAM : une communauté canadienne
de recherche collaborative et interdisciplinaire des médecines complémentaires et intégratives

(http://www.incamresearch.ca).

L’importance des mesures objectives en ostéopathie

Sylvie Lessard, ostéopathe DO, experte dans la prise en charge des plagiocéphalies (voir L’ostéopathe magazine numéro 20) a présenté son travail en insistant sur l’importance des prises de mesures dans la communication avec les parents et le corps médical. Dans sa prise en charge des plagiocéphalies, elle utilise les mesures anthropométriques afin d’établir précisément le degré d’atteinte et adapter sa
prise en charge. Elle peut ainsi proposer un plan de traitement et des objectifs, informer des chances de récupération, objectiver l’évolution
et enseigner des conseils de positionnement aux parents.
Pour les prises de mesures, plusieurs instruments existent : le compas à calibrer, le vernier à calibrer (mesures des diagonales transcrâniennes et de l’index céphalique) le craniomètre, la thermoplastique « sansplint »
(prise de moulage crânien). Elle recommande également la réalisation de photos à chaque traitement, un moyen rapide d’objectiver la récupération et pouvant être joint au dossier de l’enfant à destination des médecins.
Le carnet de santé reste cependant un moyen de communication simple et efficace entre professionnels et parents. Il permet d’établir
la chronologie de la prise en charge et de sensibiliser chaque praticien au travail effectué par ses confrères.

Recherche et collaboration en milieu hospitalier

Francesco Cerritelli, ostéopathe DO et professeur en neuroscience à ITAB, Université de Chieti-Pescara (Italie), est venu présenter
son travail de recherche sur la collaboration dans le traitement des nouveau-nés prématurés dans les hôpitaux. Un bébé est considéré
comme prématuré lorsqu’il naît avant la 37e semaine d’aménorrhée révolue. La prévalence de la prématurité est élevée depuis
une vingtaine d’années et le nombre de nouveau- nés prématurés n’a cessé d’augmenter en
France et dans le monde

(http://www.inserm.fr/hematiques/biologiecellulaire-developpement-et-evolution/dossiers-d-information/rematurite).

À tel pointque l’ONU s’engage àtravers deux de ses objectifsde ce millénaireà faire diminuer ce phénomène (objectif 4 : «réduire la mortalité des enfants », objectif 5 : « améliorer la santé maternelle »). La prématurité à des répercussions à très long terme sur la santé de l’enfant. Elle représente donc un coût supplémentaire important et sa prise en charge doit être améliorée. En 2011, une étude randomisée sur la prise en charge ostéopathique des prématurés était publiée (NDLR : le conférencier n’a pas précisé cette source). Les résultats révèlent que les prématurés ayant reçu le traitement ostéopathique avaient 78 % de chances de sortir de l’hôpital plus tôt et une réduction de 55 % des de présenter des problèmes gastriques.
La sortie d’hospitalisation des bébés prématurés traités en ostéopathie se faisait en moyenne 5 jours plus tôt que les bébés non traités en ostéopathie. Avec de tels résultats, cette étude a été élargie en multicentre dans 3 gros centres hospitaliers d’Italie. Le but annoncé cette fois-ci est d’évaluer l’efficacité du traitement ostéopathique dans la réduction du temps d’hospitalisation des nouveau-nés prématurés. Cette étude, approuvée par une commission d’éthique, s’est déroulée entre juillet 2012 et aout 2013.

Les critères d’exclusion pour les bébés étaient les suivants :
– nés avant 29 semaines d’aménorrhée ou après 37 semaines,
– n’ayant pas reçu de traitement ostéopathique avant le 14e jour de vie,
– transféré dans un autre hôpital que les 3 hôpitaux participants à l’étude,
– positif au HIV, addiction de drogues chez la mère,
– troubles génétiques, anomalies congénitales, anomalies cardio-vasculaires, troublesneurologiques, entérocolite nécrosante, obstruction
abdominale, pré ou post chirurgie.

L’ostéopathie pour faire gagner du temps aux prématurés

Sans titreLes prématurés du groupe traité recevaient deux traitements par semaine. Une évaluation
structurelle tête, cou, bassin était réalisée dans l’incubateur. Un traitement ostéopathique avec des techniques indirectes et fluidiques (technique myofasciale indirecte, v-spread, membranes de tension, traitement en balance des ligaments) était
proposé. Deux groupes de 360 bébés prématurés ont été constitués. Dans le groupe traité 8 bébés ont quitté l’étude (7 septicémies, 1 pneumothorax), dans le groupe témoins 17 bébés sont sortis de l’étude (11 septicémies, 2 pneumothorax, 1 bactérie pulmonaire, 1 hémorragie gastro-intestinale, 2 convulsions).

Le groupe traité a donc inclus 352 cas et le groupe témoin 343 cas. Sur l’échantillon traité, la durée d’hospitalisation a été réduite de 4 jours
en moyenne soit une économie d’environ 1 200 € par nouveau-nés. En revanche, l’étude n’a pas permis de mettre en évidence
une influence significative sur la prise de poids journalière. Cette étude conclut que l’intervention ostéopathique sur les nouveau-nés prématurés permet de réduire la durée d’hospitalisation et le coût de la prise en charge. Francesco Ceritelli explique que les mécanismes
d’actions sont encore incertains. Il émet une hypothèse qui s’appuie sur le taux très élevé de cortisol chez les prématurés provoquant un état orthosympathique. L’ostéopathie agirait sur le système nerveux autonome facilitant la régulation et l’équilibration du taux de cortisol par des effets trophotropiques.

Résultats scolaires de l’enfant : quels enjeux pour l’ostéopathe ?

Chez l’enfant scolarisé, la collaboration interprofessionnelle passe également par les enseignants.
C’est ce qu’ont montré Catherine Bureau, ergothérapeute, et Diane Cantin, enseignante en primaire. La première explique l’importance du mouvement pour les enfants et leur recherche de contacts proprioceptifs. À travers son programme Je suis capitaine de mon corps, elle réalise des ateliers toute les 3 semaines dans les classes pour aider les enfants à connaître et utiliser leurs corps.
Entre temps, elle donne une série d’exercices à l’enseignante qui les effectue quotidiennement avec ses élèves.Cette dernière, enchantée par l’expérience, explique ne plus avoir besoin de fâcher les enfants pour des attitudes qu’ils ont du mal à contrôler (bouger sur la chaise, taper du pied, etc.). À plusieurs moments de la journée scolaire, elle les sollicite avec des exercices stimulant leur motricité fine, un travail de la pince pouce-index, le développement de la préhension, etc. Elle intègre des activités sensorielles dans le quotidien de la maternelle : lors des
déplacements, lors des moments de détente, etc. L’utilisation de jeux avec de gros ballons permet la stimulation vestibulaire et les activités
rythmiques et coordonnées favorisent l’intégration des réflexes posturaux. Devant la persistance du réflexe tonique symétrique du cou (RTSC) et du réflexe tonique de l’axe central (RTAC) pouvant perturber l’équilibre et la motricité fine l’ergothérapeute, propose des exercices pour stimuler les mouvements du cou contre la gravité : écouter une histoire en position allongée sur le ventre et en regardant la maîtresse au tableau, ou encore repérer des images collées au plafond. Cette expérience entre ergothérapeute et enseignante permet un meilleur équilibre dans la classe et améliore le rendement scolaire.

L’ostéopathe : ce précepteur insoupçonné !

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C’est également sur l’optimisation du rendement scolaire que porte le travail d’Alain Bouchard, ostéopathe DO (Canada). Notamment
sur les troubles de l’apprentissage et la dyslexie. Il explique que les ergothérapeutes actualités rencontres
« La mobilité du crâne, et plus spécifiquement de la sphénobasilaire et les temporaux, joue unrôle dans la performance scolaire » ont inspiré son travail lorsqu’il a compris que le cerveau pouvait se reprogrammer grâce à des exercices : « si les ostéopathes enlèvent des bugs, les ergothérapeutes sont des programmateurs de haut niveau », plaisante- t-il. Il a été enthousiasmé par le travail de recherche de Gaetane Gilbert-Bourque, ostéopathe canadienne, réalisé en 1990 sur 30 enfants (15 sujets, 15 témoins) présentant des difficultés moyennes de compréhension. Elle avait obtenu une amélioration significative en mathématiques et en français après un traitement crânien ostéopathique. En 1995, Alain Bouchard décide alors de mener sa propre recherche dans une école de quartier.
Son objectif : prouver l’efficacité de l’ostéopathie dans l’amélioration des résultats scolaires chez des enfants de classes primaires présentant de légères difficultés d’apprentissage. Il a d’abord cherché à déterminer le temps nécessaire pour voir apparaître des changements. Ensuite, il s’est attaché à vérifier l’hypothèse que chez certains profils psychologiques ou ostéopathiques d’enfants, l’amélioration des performances scolaires était supérieure. L’étude a donc été menée auprès de deux classes de quatrième année d’une école primaire francophone d’une petite ville de laclasse moyenne sur la rive sud de Montréal.
Parmi ces élèves, 29 enfants ont été traités de manière hebdomadaire six fois. L’évolution des dossiers académiques, pré et post-traitements, des élèves traités a été comparée à ceux n’ayant pas bénéficié de consultations
en ostéopathie. D’autres critères de comparaison de deux groupes ont été utilisés. Ils portaient sur des tests de QI (quotient intellectuel) non verbaux et sur les évaluations du rendement scolaire par les professeurs et les parents. Ces procédures de mesure étaient réalisées en aveugle ; les professeurs ignoraient l’identité des sujets traités et la période des traitements et le thérapeute ne connaissait ni les résultats scolaires ni les antécédents médicaux des enfants tout au long de l’expérimentation. Les résultats montrent des améliorations significatives (p<0,05) pour l’ensemble des sujets traités en lecture, en écriture, au niveau de l’attention concentration et dans les mêmes sous-tests de quotient intellectuel que la  recherche de Gilbert-Bourque. Des changements positifs sont aussi observés en mathématiques et dans le cumulatif du test de QI. Le temps de réponse aux traitements variait selon la matière académique. Il était immédiat pour l’écriture, l’attention concentration et de 90 jours pour la lecture et les mathématiques.

Un lien entre mobilité du crâne et apprentissage

Une interprétation de ces résultats a également été faite suivant des critères ostéopathiques.Sans titre
Ainsi, les scores des sujets traités ont été comparés entre eux selon la mobilité de la sphénobasilaire et des temporaux. Les sujets présentant des blocages à ces niveaux ont de moins bons résultats que les autres. Un résultat significatif puisque 32 fois sur
36 les scores moyens de ces groupes ont été inférieurs à ceux des autres.
Alain Bouchard tire deux conclusions de son étude. Premièrement, la mobilité du crâne, et plus spécifiquement de la sphénobasilaire
et les temporaux, joue un rôle dans la performance scolaire. Deuxièmement, l’action de l’ostéopathie sur ces structures permet d’améliorer le rendement scolaire. Fort de cette expertise dans le domaine des difficultés scolaires chez l’enfant de 6 à 12 ans et de la prise en charge pluri disciplinaire, il espère pouvoir continuer cette étude à plus grande échelle… Rendez-vous en 2016 ?

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