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Dysfonction ostéopathique : mythe ou réalité ?

Alors qu’avec Gary Fryer nous nous interrogions sur la vraie nature de la dysfonction somatique vertébrale*, Yves Lepers en retraçait son histoire et son évolution. Il remettait en question son existence et ses réflexions nous invitent à rechercher une définition contemporaine de l’ostéopathie.

Par Yves Lepers

* voir notre reportage Dysfonction somatique : quelle est sa vraie nature ? paru dans L’ostéopathe magazine n°12

L’ostéopathie naît au XIXe siècle, de la pensée d’un homme, Andrew Taylor Still. Il est médecin et pasteur méthodiste, tout comme son père. Ce dernier l’initie à la doctrine de John Wesley1 (1703-1791), fondateur d’une religion dérivée de l’anglicanisme et qui prescrit un retour aux évangiles et aux fondements de l’humanisme chrétien. A.T. Still va trouver dans cette éducation les fondements de ce qu’il veut être une révolution médicale. Déçu par la médecine de son époque, il s’appuie sur le postulat métaphysique de la perfection de l’homme et donc son incapacité à tomber naturellement malade. L’image la plus représentative de cette perfection se trouve dans l’anatomie. Selon A.T. Still, les processus morbides ont une explication simple.

Il suffit qu’il y ait une modification par des forces extérieures, dans les rapports entre les structures anatomiques, pour engendrer des contractures musculaires à leur tour responsables d’une mauvaise circulation artérielle et nerveuse². Or, le sang est vecteur des semences de vie. Si les semences de vie sont ralenties dans leur progression ou stoppées, la pathologie s’installera en aval.

 Une théorie vitaliste comme point de départ

Il suffit donc de parfaitement connaître l’anatomie et l’organisation des organes pour corriger avec les mains, les « dislocations » responsables de l’ensemble de la physiopathologie, « Sans connaissance approfondie et une grande pratique nous commettons de nombreuses erreurs à propos des maladies consécutives aux traumatismes de la hanche […] Après un examen critique j’ai découvert qu’une dislocation de la tête de l’os de la cuisse peut provoquer une contracture des muscles et de la chair de la région et de ce fait entraîner un arrêt du retour veineux, une congestion, une stagnation, une fermentation, et des varicosités dans tout le membre inférieur de la cuisse jusqu’à la plante des pieds. J’ai découvert que la fermentation peut évoluer vers un état inflammatoire ; que le processus inflammatoire peut s’étendre de l’articulation coxofémorale à l’occiput entraînant toute une série d’effets connus sous le nom de névralgies, de sciatique, de lumbago, d’enraidissement de la colonne vertébrale. »

Cette théorie vitaliste permet de mieux comprendre l’idée défendue par Still de la capacité d’auto guérison des organismes vivants. Il ne faut pas y voir une prémonition des théories immunitaires mais bien un postulat strictement métaphysique.

« En médecine dite « conventionnelle » la lésion est appréciable par des moyens d’investigation et se trouve être l’effet d’une maladie »

C’est dans ce contexte que naît le concept de « lésion ostéopathique ». En médecine dite « conventionnelle » la lésion est appréciable par des moyens d’investigation et se trouve être l’effet d’une maladie. Pour A.T. Still, elle est appréciable par la palpation et elle est la cause et non l’effet des maladies. La lésion, classiquement décrite en médecine, est objectivable alors que pour A.T. Still, elle est tributaire de notre capacité subjective à la déceler. La lésion est une véritable dislocation ou luxation. Il décrit donc des stades plus ou moins important de luxation, plus ou moins visibles, plus ou moins palpables. Les premiers successeurs du Maître vont parler de « subluxation ». Le terme sera adopté également par l’école chiropratique. Il faudra attendre 1955, grâce au développement de l’utilisation médicale des rayons X, pour mettre enfin un terme à la vision anatomique de la lésion ostéopathique.

Vers une définition physiologique

 L’idée n’en est pas abandonnée pour autant. Puisque la lésion n’est pas fondée anatomiquement, elle ne peut l’être que physiologiquement. En 1969 la « lésion » devient « dysfonction ». Pour Northup en 1979, la « lésion ostéopathique » ne peut être observée que sur le vivant. Très vite, elle est alors assimilée à une perte de mobilité. En 1981, l’Académie d’ostéopathie de Belgique définit l’ostéopathie en ces termes : « l’ostéopathie est une approche diagnostique et thérapeutique manuelle des dysfonction de mobilité articulaire et tissulaire en général dans le cadre de leur participation à l’apparition des maladies ». Pour Northup, en 1994, une dysfonction articulaire est un « verrouillage associé à l’annulation du jeu articulaire ».

Dès 1948, on trouve sous la plume d’I.M. Korr9, une description des symptômes associés à la « lésion ostéopathique » : hyperesthésie paravertébrale, douleur profonde, diffuse, pas nécessairement présente. Ce dernier point laisse sous entendre que l’on puisse être porteur de dysfonction sans en souffrir. Pour d’autres auteurs, on retrouve une douleur à la pression de l’épineuse. Entre 1917 (date de création de la BSO par Litt- lejohn) et 2001, les ostéopathes anglais donneront de multiples définitions de la « lésion-dysfonction », « déviation de la normale dans les rapports de structures », « un état physiologique », « une articulation en déséquilibre », « une fixation partielle ou complète d’une articulation » ou « un mauvais ajustement dans n’importe quel champ du corps ».

La dysfonction ostéopathique : un désir de prolonger la théorie stillienne

Une chose est certaine, le concept de dysfonction ostéopathique n’a jamais été objectivé par aucun instrument de mesure. Pas plus que ne le fût la « lésion ostéopathique ».

« Une chose est certaine, le concept de dysfonction ostéopathique n’a jamais été objectivé par aucun instrument de mesure »

La variété des termes utilisés pour la définir, lésion, dysfonction, entorse articulaire vertébrale (EAV), lésion ostéopathique verté- brale (LOV), dérangement intervertébral mineur (DIM), suf- fit à rendre légitime la suspicion quand à l’existence réelle de ce concept. La dysfonction ostéopathique témoigne en fait du désir de prolonger coûte que coûte la théorie stillienne. Elle est garante de l’originalité de la démarche ostéopathique et par conséquent de son identité. Or, certains ostéopathes n’ont pas hésité, en définissant la dysfonction, à parler d’ « entorse articulaire aiguë ou chronique » ou encore de « réaction mécanique et physiologique des structures somatiques à diverses causes ». Ce faisant, d’une part les auteurs rendent inutile l’usage du concept de « dysfonction ostéopathique» (les termes d’entorse ou de contracture font déjà partie du vocabulaire médical), d’autre part, la variété des descriptions montrent qu’il ne s’agit pas d’une entité unique. Enfin, l’aspect causal disparaît pour laisser place à une réaction mécanique à diverses causes.

Un retour nécessaire à l’empirisme

Nous émettons aujourd’hui l’hypothèse d’un retour nécessaire à l’empirisme. Il n’est pas indispensable d’identifier une « dysfonction » mythique ou inconnue pour justifier de l’efficacité des manipulations. Plusieurs travaux montrent, par exemple, que les manipulations de type HVBA, modifient l’amplitude des réponses corticales sensori-motrices en dehors de tout diagnostic ostéopathique de dysfonction. L’identité d’une profession ne se mesure pas à la solidité de ses traditions mais bien à la faculté de s’adapter aux progrès des connaissances. Il est bon de savoir faire table rase de concepts poussiéreux pour s’ouvrir à de nouvelles observations, à de nouvelles hypothèses. Notre objectif essentiel est d’améliorer les indications à notre intervention tout en assurant toujours plus de sécurité pour le patient et non de tenter de sauver les dogmes envers et contre tout.

[su_note note_color= »##ef5602″ text_color= »#040404″]Aux origines  de la pensée de Still  Andrew Taylor Still,

fils d’un médecin et pasteur méthodiste, a été  initié à la doctrine de John Wesley (1703-1791), fondateur d’une  religion dérivée de l’anglicanisme. Wesley* prescrit un retour  aux évangiles et aux fondements de l’humanisme chrétien. Il se  revendique d’un christianisme au service des plus faibles et qui  éloigne l’homme de toute assuétude. Il prône donc une médecine  simple, non sophistiquée, accessible aux plus démunis et  débarrassée de toute drogue. Selon lui, plus le temps s’écoule  depuis la création, plus le monde devient compliqué, corrompu  et s’éloigne des vraies valeurs qui ont précédé le pécher adamique.  L’homme se tourne alors vers tous les esclavages, tabac,  alcool, soumission de l’homme par l’homme et de la femme  par l’homme. Il faut donc, selon Wesley, retourner aux choses  simples, proche des premiers temps, observer les peuples dits  « primitifs » ainsi que les animaux qui connaissent intuitivement  les secrets de la santé. Tempérance et exercices sont les  clefs d’une vie saine car « tu gagneras ton pain à la sueur de  ton front jusqu’à ton retour à la terre ». Telle est l’interprétation  wesleyenne de la sentence divine. Il s’agit d’un conseil du divin  afin de maintenir la bonne santé par le mouvement et non une  condamnation aux travaux forcés.

* Wesley, J., Médecine primitive ou recueil des remèdes choisis  et éprouvés par de expériences constantes, à l’usage des gens  de la campagne, des riches et des pauvres, éd. Jean-Marie  Bruyset, Lyon, 1772, Trad. Y. Lepers, 2010.       [/su_note]

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